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1re Année
No17
Mercredi 10 Février 1904

REVUE MUSICALE DE LYON

Paraissant le Mardi de chaque Semaine, du 20 Octobre au 20 Avril

Léon VALLAS
Directeur-Rédacteur en Chef

Principaux Collaborateurs
L. AGUETTANT ; Fernand BALDENSPERGER ; Gabriel BERNARD ; M.-D. CALVOCORESSI ; M. DEGAUD ; FASOLT et FAFNER ; Henry FELLOT ; Daniel FLEURET ; Albert GALLAND ; Pierre HAOUR ; Vincent d’INDY ; JOWILL ; Paul LERICHE ; René LERICHE ; Edmond LOCARD ; Victor LORET ; A. MARIOTTE ; Edouard MILLIOZ ; J. SAUERWEIN ; Georges TRICOU ; Jean VALLAS ; Léon VALLAS ; G. M. WITKOWSKI

CÉSAR FRANCK

(Suite)
Les Béatitudes

Nous touchons ici à l’un des sommets de l’œuvre de Franck, à l’un de ces édifices qui se dressent sur le chemin de l’art comme pour montrer l’amorce d’une route nouvelle et qui subsistent dédaigneux des injures des hommes et des temps.

Paraphrase du Sermon sur la montagne, ce concis exposé de la morale évangélique, l’oratorio est naturellement divisé en huit parties, dont chacune présente antithétiquement un double tableau, par exemple les violents et les doux, les injustes et les justes, les cruels et les miséricordieux. Vers la fin de chaque partie, un chant s’élève, planant calme et grand au-dessus des mesures humaines : c’est la voix du Christ qui vient brièvement commenter le texte même de la béatitude. Cette mélodie divine, si caractéristique qu’on ne peut l’oublier dès qu’elle est apparue dans le prologue de l’œuvre, n’atteint qu’à la huitième et dernière Béatitude son complet développement, mais alors elle devient si sublime qu’on croirait, à l’entendre se dérouler comme on voit monter les volutes de la fumée d’encens sous les voûtes d’une cathédrale, assister réellement à la radieuse ascension des bienheureux vers les demeures célestes.

Malgré ces beautés extra-humaines, il est permis de faire quelques réserves sur cette œuvre colossale. Elle présente, en effet, des inégalités de styles parfois choquantes. Ainsi — je l’ai déjà indiqué plus haut, — lorsqu’il s’agit de peindre le mal arrivé à son paroxysme (les tyrans, les cruels et même le personnage de Satan, vraiment un peu conventionnel), Franck, ne pouvant trouver en lui-même l’expression de ce mal qu’il ne comprenait point, emprunte alors le style de l’opéra meyerbeerien, ce qui constitue avec le reste de l’ouvrage un contraste vraiment déplaisant. Malgré ces quelques faiblesses, les Béatitudes restent le monument musical le plus considérable qui ait été édifié depuis la Messe solennelle de Beethoven.

L’auteur de cet admirable commentaire de l’Evangile ne se figura jamais, dans sa modestie, que les Béatitudes fussent susceptibles d’être exécutées autrement que par fragments, et ce fut seulement après sa mort, en 1893, que l’exécu-