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façon sensiblement égale les diverses couches. Il y a là un fait de fraternité artistique que je ne puis que signaler aujourd’hui.

En définitive, je résumerai de la façon suivante l’impression ressentie aux cinq représentations du Crépuscule entendues jusqu’à ce jour : il n’y a pas d’œuvre musicale plus difficile et plus abstraite, il y en a peu qui puissent fournir une pareille somme de jouissances intellectuelles. En outre, et pour la grande masse de public, certains passages, plus colorés, plus chauds et plus clairs (interludes du premier acte, toute la première partie du troisième, etc.) constituent une compensation plus que suffisante à la fatigue que leur impose la gymnastique cérébrale nécessaire à la compréhension de ce chef-d’œuvre.

Mlle Claessen a remplacé Mlle Janssen, à la cinquième représentation. Cette artiste a fait preuve dans le cours de la saison de très intéressantes qualités artistiques. Nous avions donc le droit d’espérer d’elle une bonne interprétation du rôle écrasant de Brünnhild. Elle s’est montrée intelligente et consciencieuse : et la seule observation qu’on ait en général formulée c’est que Mlle Claessen ne possède point les qualités vocales de l’incomparable artiste qui l’avait précédée[1]. Mais, si l’on pousse plus loin le parallèle des deux interprétations la différence apparaît surtout en ceci que Mlle Claessen a composé le rôle en cantatrice habile et en actrice intelligente et bien conseillée, tandis que Mlle Janssen l’a véritablement vécu, transfusant sa vie propre et son âme dans ce personnage irréel.

Nous espérons d’ailleurs que la retraite de Mlle Janssen n’est que momentanée. Il nous paraît inadmissible que l’on songe à monter la tétralogie entière, en se privant d’un des principaux éléments de succès. Le nombre de rôles disponibles dans l’Anneau du Nibelung est d’ailleurs suffisant pour que toutes les bonnes volontés trouvent leur emploi.

Edmond Locard.

LES CONCERTS

Séances de Sonates Rinuccini-Geloso

On se souvient avec quel succès fut donné, il y a trois ans, aux Concerts Lamoureux, le cycle des neuf symphonies de Beethoven. Cet hiver, le quatuor Parent doit régaler les Parisiens de la série des 17 quatuors à cordes. Nous ne pouvons malheureusement pas avoir l’espoir d’entendre à Lyon toutes ces symphonies et tous ces quatuors.

MM. Rinuccini et César Géloso ont eu la charitable pensée de nous dédommager dans la mesure de leurs moyens. Ils ont les premiers conçu dans l’idée d’interpréter dans notre ville le cycle intégral des sonates de Beethoven pour piano et violon. Grâces leur en soient rendues !

Jusqu’ici trois, quatre au plus de ces sonates, toujours les mêmes, nous ont été servies dans les concerts. La Revue musicale de Lyon s’est maintes fois élevée contre cet exclusivisme injustifié. Les dédaignées sont signes de l’honneur de figurer aux programmes, au même titre que leurs sœurs plus privilégiées.

La réputation de certains auteurs serait fortement entamée par l’exécution intégrale de toutes leurs œuvres d’une même catégorie. La gloire d’un Beethoven ne peut que s’en accroître. Il n’est rien sorti de banal ni de médiocre de la plume du Titan de la musique.

La première des auditions consacrées par MM. Rinuccini et Geloso aux sonates de Beethoven pour piano et violon, a eu hier lundi soir, 25 janvier. Une élégante assistance en majorité féminine, emplissait la coquette salle de musique classique de la rue Stella.

Le programme de cette première séance était chargé. Il comprenait les quatre premières sonates. Personne n’a trouvé la dose exagérée.

La première et radieuse sonate en a ouvert le feu. Avait-elle été entendue à Lyon depuis l’hiver 1875 ? Elle fut alors merveilleusement jouée par Sivori et Francis Planté à l’un des concerts du Dimanche organisés par Aimé Gros, dans la salle de l’ancien Eldorado de la rue Belle-Cordière.

  1. C’est ainsi que pour éviter à Mlle Claessen la fatigue terrible de la scène du bûcher, au dernier tableau, on a supprimé 54 mesures, ce qui simplifie d’une façon appréciable le rôle de Brünehild.