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avoir avalé quelques gorgées d’eau sucrée il commença la lecture de son poème au milieu d’un religieux silence que troublèrent peu après, les murmures approbateurs du petit aréopage. Ces murmures se changèrent bientôt en applaudissements, lorsqu’il eut fini de nous lire un duo placé au milieu du premier acte. Ce duo est tout simplement de la plus grande beauté. Au point de vue de l’effet il égale le duo justement célèbre du quatrième acte des Huguenots. Au point de vue du style et de la forme, il lui est infiniment supérieur.

Je ne me crois pas le droit de déflorer le poème des Troyens par une analyse prématurée. Quant au sujet, il suffira de l’indiquer à ceux qui ont traduit le deuxième livre de l’Énéide : Cassandre, Priam, Énée, Ascagne, Didon, Anna Soror, tous les divins héros de Virgile, revivent dans cette œuvre puissante, colorée, féconde en situations et en surprises, écrite avec la plume d’un poète heureusement inspiré. Nous sommes aussi loin des :

Bonheur suprême !
Ô joie extrême !
Celle que j’aime
Va revenir !
Oui dans mon âme
Je sens, Madame,
Brûler la flamme
Du doux plaisir !

auxquels nous ont accoutumés les librettistes officiels de la rue Le Pelletier ; nous en sommes aussi loin, dis-je, que le ciel est loin de la terre.

L’action commence au moment où fermant l’oreille aux lamentations et aux prédictions de Cassandre, les Troyens introduisent dans les murs d’Ilion le fatal cheval de bois. Elle se dénonce par la mort de Didon, impuissante à retenir dans les délices de Carthage et de son amour, Énée, que des voix mystérieuses appellent vers l’Italie.

La lecture était terminée que nous écoutions encore. Intentique ora tenebant, comme dit Virgile ; et tous nous fûmes unanimes à déclarer que ce poème d’opéra est le modèle d’un genre qui n’est rien moins que facile à réussir. J’ai déjà rendu justice aux qualités poétiques qui le distinguent : j’ajoute que l’auteur a fait une large part à ses futurs collaborateurs, les chorégraphes, les machinistes et les décorateurs.

Il y a là des prétextes à mise en scène inouïs, et des motifs de splendeur vraiment superbes. Mais c’est principalement sur ce point qu’une discrétion absolue m’est imposée. Plus les effets trouvés par H. Berlioz sont neufs et ingénieux, moins il faut se hâter de les porter à la connaissance du servum pecus des imitateurs et des plagiaires.

Quant à la partition, je n’en ai pas entendu une seule note, et comme ceci n’est pas une vulgaire réclame, on comprendra pourquoi je m’abstiens de la louer. Mais je n’hésite pas à le dire : si, comme la chose est plus que probable, Berlioz compositeur s’est tenu à la hauteur de Berlioz poète, l’apparition des Troyens aura les proportions d’un événement. On dit que cette œuvre inaugurera le nouveau Théâtre-Lyrique de la place du Châtelet. J’aime mieux croire qu’elle inaugurera le nouvel opéra du passage Sandrié… »

Nouvelles Diverses

On annonce que M. Tournié, l’ancien directeur de notre Grand-Théâtre contre qui M. Victor Augagneur dressa naguère un magnifique réquisitoire qu’on pourrait peut-être aujourd’hui retourner contre son auteur, vient d’être nommé directeur du Théâtre du Capitole à Toulouse. Espérons qu’il saura le garder !

Le Propriétaire-Gérant : Léon Vallas.

Imp. Waltener & Cie, rue Stella, 3, Lyon.