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sujets qui lui étaient proposés se prêtaient à être traités simultanément, improvisa une double fugue au cours de laquelle il ramena comme second sujet, marchant avec l’autre, le thème du morceau libre, se livrant ainsi à des combinaisons auxquelles les examinateurs n’étaient nullement préparés. Cela faillit tourner mal pour lui, car les membres du jury ne comprirent rien à ce tour de force tout à fait en dehors des habitudes du Conservatoire, et il fallut que Benoist, le titulaire de la classe, vint expliquer le cas à ses collègues pour que ceux-ci, enfin éclairés, se décidassent à attribuer au jeune concurrent… un second prix ! C’est à dater de ce moment peut-être que César Franck devint suspect aux yeux de certains personnages.

Après un court séjour en Belgique, où il allait offrir au roi Léopold Ier la dédicace de ses premiers trios, il revint à Paris, où il commença cette carrière d’organiste qu’il n’abandonna point toute sa vie durant. C’est ainsi que l’église Sainte-Clotilde, nouvellement bâtie, le vit, dès l’année 1859, s’asseoir à la tribune de l’orgue chaque vendredi matin et toute la journée du dimanche. Ceux que la bienveillance du maître autorisait à assister auprès de lui à ces offices n’oublieront certes jamais les hautes jouissances d’art que ses improvisations ont procurées à leur esprit.

En 1872, Franck succéda à son ancien maître Benoist comme titulaire de la classe d’orgue au Conservatoire de Paris, mais beaucoup de ses confrères ne consentirent jamais à regarder comme des leurs ce professeur qui avait l’audace de voir dans l’art autre chose qu’un métier lucratif. Et, en effet, César Franck n’était pas des leurs. Ils le lui firent sentir.

Franck fut, je l’ai dit, un travailleur. Hiver comme été, il était sur pied dès cinq heures et demi du matin et consacrait à la composition les deux premières heures de sa matinée : c’est ce qu’il appelait travailler pour lui. Vers huit heures du matin, il prenait un frugal repas et partait aussitôt pour aller donner des leçons dans tous les coins de la capitale, car jusqu’à la fin de sa vie ce grand homme dut employer la plus grande partie de son temps à l’éducation pianistique de quelques amateurs, voire à la culture musicale des pensionnats de jeunes demoiselles ! Il ne rentrait d’ordinaire que pour le repas du soir et, lorsqu’il ne consacrait pas sa soirée à ses élèves d’orgue et de composition, il trouvait alors encore quelques instants pour copier et orchestrer ses partitions. C’est ainsi que, au moyen de ces uniques heures de travail matinal quotidien, jointes aux quelques semaines de vacances que le Conservatoire lui laissait chaque année, furent pensées et écrites ses plus belles œuvres.

Si Franck fut un travailleur, ce fut aussi un modeste. Jamais il ne brigua ni même ne rechercha les honneurs ou les distinctions, jamais il ne lui vint à l’idée, par exemple, d’ambitionner la place de membre de l’Institut ; non point que, comme un Puvis de Chavannes ou un Degas, il dédaignât ce titre, mais parce qu’il pensait sincèrement n’avoir pas encore assez fait pour le mériter. Et cependant alors l’Institut comptait en ses rangs nombre de musiciens d’ordre assez inférieur, parmi lesquels, pour n’en citer qu’un, François Bazin, auteur de quelques médiocres opérettes, qui, bien que professeur de composition au Conservatoire, n’était pas absolument capable de distinguer dans les fugues de ses élèves une réponse fausse d’une réponse juste : j’ai été moi-même témoin du fait.

La modestie de Franck n’excluait cependant pas la confiance en soi, qualité primordiale de l’artiste créateur lorsqu’elle est exempte de vanité et appuyée sur un jugement sain.

À l’ouverture des cours, alors que le