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tacle, fut représenté à Covent-Garden. Le même théâtre donna aussi asile à une seconde production, Amy Robsart, à laquelle les relations mondaines de l’auteur ne purent aussrer qu’un éphémère succès. M. Isidore de Lara passa alors le détroit et il se vit, aussitôt, ouvrir toutes grandes les portes du Théâtre de Monte-Carlo pour une certaine Moina. Ceci se passait en 1897. Deux ans après, presque jour pour jour, Messaline, dédiée à la princesse Alice de Monaco, née Heine, était jouée sur la scène alimentée par les bénéfices faits de hontes, de crimes et de morts de la célèbre maison de jeu. Cette œuvre, comme la précédente d’ailleurs, fut montée avec un luxe inouï de décors et de costumes et une interprétation hors ligne. Pourtant, malgré la réclame que les traités de publicité assurent, quoi qu’il arrive, à Monte-Carlo, tous les esprits sains, francs et libres ne s’en laissèrent pas imposer et ils jugèrent Messaline à sa juste valeur. La fécondité de M. Isidore de Lara s’est depuis lors ralentie ; il n’a rien produit. Personne n’a encore songé à s’en plaindre.

Après Monte-Carlo, quelques scènes de province, la plupart méridionales, jouèrent Messaline. Cet ouvrage fut, chaque fois monté avec un tel déploiement de mise en scène qu’il remporta un de ces succès incompréhensibles comme la bêtise humaine en donne, parfois, le lamentable exemple. Les mêmes causes qui procurent à d’ineptes chansons, comme l’Amant d’Amanda’’, Ousqu’est Saint-Nazaire, ou Viens, Poupoule, Viens ! des ventes énormes en même temps que la popularité, ont fait la fortune de Messaline. Cette pièce à grand spectacle, pompeusement dénommée tragédie-lyrique, peut avoir des centaines de représentations et faire tomber dans les poches de M. Isidore de Lara d’énormes droits d’auteur, sans que cela prouve autre chose que le public se rue de préférence aux ouvrages médiocres qui flattent ses plus bas instincts. Jamais le mérite d’une œuvre d’art ne s’est encore mesuré aux gros sous qu’elle rapporte.

Le livret de Messaline est dû à la collaboration de MM. Armand Silvestre et Eugène Morand. Mieux charpenté que ne le sont, d’ordinaire, ces sortes de choses, généralement informes, il offre des situations assez dramatiques qui ne sont pas sans analogies avec celles de la Tour de Nesles. Son grand défaut est de ne renfermer aucun personnage le moins du monde intéressant… Les caractères sont à peine ébauchés et la musique de M. de Lara est impuissante à leur ajouter le moindre relief. Tous les personnages, en effet, sont taillés dans le même moule mélodique et quel moule ! M. de Lara en a emprunté les principaux matériaux, qu’il souda ensuite tant bien que mal, à Gounod, à Verdi, à MM. Massenet, Delmet, Flégier, Diaz, Mascagni, Tagliafico, Léoncavallo et à Augusta Holmès. Wagner n’a pas été oublié, lui non plus. M. de Lara lui a rendu hommage en bourrant sa partition de leitmotive, ou plutôt de ce qu’il a cru en être. À chaque instant, des thèmes sans intérêt, presque toujours figés dans la même forme, ne subissant aucun développement, se font entendre de la manière la plus énervante et la plus fastidieuse. Maladroitement plaqués dans l’accompagnement, ils n’arrivent jamais à constituer une véritable base symphonique.

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J’ai déjà dit, au cours de cette analyse, quelle était l’exacte valeur des inspirations de M. Isidore de Lara. J’insiste encore, avant de terminer, sur leur constante vulgarité et sur leur fadasse monotonie. Dans toute cette partition écrite, depuis la première jusqu’à la dernière note, uniquement en vue de l’effet à produire sur le public, – et cela par les moyens musicaux et scéniques les plus bas, – on ne rencontre par une phrase, même la plus mauvaise, vraiment personnelle. L’œuvre entière est cuisinée avec les rogatons de musiciens de toutes les catégories. L’harmonie de M. de Lara est d’une platitude égale à celle de la mélodie. L’instrumentation, par moments, vaut mieux que le reste. Elle possède, parfois, un certain éclat et l’on y trouve – rari nantes, hélas ! – certains effets assez heureux, par exemple, l’imitation des rugissements des lions, au second et au quatrième actes. Elle ne peut arriver, néanmoins, à déguiser l’indigence lamentable des idées. Il faut, cependant, mettre à l’actif de l’auteur, la façon vraiment très habile dont il écrit pour les voix. Tout pour et par le chanteur semble être la devise de M. de Lara. Il ne faut pas s’étonner après cela, si ceux-ci aiment un opéra qui leur rapporte des applaudissements obtenus sans peine. Messaline est le prototype de l’œuvre du riche amateur. La sévérité pour des compositions semblables est de toute justice ; elles empoisonnent le goût du public et c’est faire œuvre de salubrité artistique que de protester énergiquement contre elles. »