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Wälsungen, montrant la fatalité attachée à cette victoire, et présageant le destin funeste qui attend le porteur de l’Anneau maudit. Le récit de la mort du traître Mime ramène à l’orchestre le thème de l’enclume ; et, comme Siegfried ne se souvient plus de la suite, Hagen lui tend sa corne remplie de vin, dans lequel il vient d’exprimer le suc d’une plante. C’est au thème du philtre qu’il faut rattacher la phrase par laquelle il invite le héros joyeux à boire cette liqueur. La mémoire revient au conteur qui redit alors les conseils donnés par l’oiseau et la marche vers la Roche du Sommeil entourée de flammes. Au chant de l’oiseau succède l’invocation du feu, puis la mélodie du réveil de Brünnhilde (1ers violons et harpes)[1], le thème altéré de la Walküre endormie (1ers violons, cor, cor anglais, clarinette, hautbois), et le thème d’amour (xvi)[2].

xvi

[partition à transcrire]

xvi. – Thème de l’héritage du monde

« Avec quelle ardeur m’étreint la belle Brünnhilde en ses bras ! » s’écrie le héros inconscient, et tandis qu’éclate, formidable, aux cuivres graves, la malédiction d’Alberich, Hagen venge Gunther en enfonçant son épieu entre les épaules de Siegfried.

Le héros blesse se soulève en un dernier effort que symbolise une marche ascendante des bassons et des violoncelles, progressant par intervalles de tierce mineure ; son bouclier lui échappe, il retombe, tandis que sonne tristement le thème de Siegfried, gardien de cette épée qu’il ne brandira plus désormais.

Lentement, Hagen s’éloigne, d’un pas tranquille il marche dans le crépuscule qui déjà envahit la scène. Aux sourds roulements des cordes se superpose le thème de la Destinée, grondant gravement aux trombones, puis aux cors. Des arpèges de harpes ramènent les solennelles harmonies du réveil de la Walküre, avec leurs trilles aigus, douloureuse évocation de cette Roche du Sommeil, où le héros a connu le pur bonheur, et dont il ne se souvient que pour mourir. Pianissimo l’orchestre chante les thèmes de l’amour, raconte la conquête glorieuse, la déesse devenue femme ; il redit la gloire de Siegfried, le jouvenceau parvenu à la Paix dans la Victoire ; le thème de Siegfried vainqueur se substitue par altération au thème primitif du gardien de l’épée. Et c’est le motif sur lequel les deux amants héroïques se juraient de vivre à jamais l’un pour l’autre qui passe doucement aux cordes, quand la mort vient fermer les yeux du fils de Siegmund.

Alors se déroule cette poignante, cette dramatique marche funèbre du Crépuscule. La nuit est faite ; sur une muette injonction de Gunther, les guerriers emportent le cadavre du héros assassiné. Lentement, longuement, le morne cortège gravit la colline rocheuse, et s’éloigne, sans qu’une plainte, sans qu’un gémissement ait troublé le lugubre silence. Seule, la voix immense de l’orchestre s’est élevée, la seule voix digne de pleurer cette mort tragique. Et c’est le thème de la Destinée (xiii) qui gronde tout d’abord dans la nuit, montrant l’antique fatalité, αναγχη, qui veut cette mort et ce deuil. De sourds appels de timbales, un roulement plus sourd encore des cordes graves amènent aux cors et aux tüben le pleur sinistre du thème de la détresse (xv) qui par deux fois passe comme un sanglot. Sourdement les timbales roulent encore, et dans un crescendo rapide, trois notes,

  1. Cf. Siegfried, p. 285.
  2. Cf. Siegfried, p. 304 et 306. Ce motif est généralement désigné sous le nom de thème de l’Héritage du Monde.