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doute se peu prêter à l’inspiration musicale et cependant, d’après les critiques du cru, le compositeur semble avoir heureusement surmonté toutes les difficultés en mêlant les scènes les plus joyeuses aux épisodes les plus dramatiques.

Le directeur du théâtre de l’Hermitage est M. Mikhalovski, un riche fabricant, y dépense 125.000 francs par an. Il cumule, du reste, son emploi en jouant les rôles les plus difficiles et souvent écrit les pièces.

Une opinion de Berlioz sur les directeurs de théâtre :

« Les directeurs sont tous les mêmes ; rien n’égale leur sagacité pour découvrir les platitudes, si ce n’est l’aversion instinctive que leur inspirent les œuvres prévenues de tendances à la finesse de style, à la grandeur et à l’originalité. Ils se montrent à cet égard, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et ailleurs, plus publics que le public. Je ne cite pas la France, on sait que nos théâtres lyriques, sans exception, sont et ont toujours été dirigés par des hommes supérieurs. Et quand l’occasion s’est présentée pour eux de choisir entre deux productions, dont l’une était vulgaire et l’autre distinguée, entre un artiste créateur et un misérable copiste, entre une ingénieuse hardiesse et une sottise prudente et plate, leur tact exquis ne les a jamais trompés. Ainsi, gloire à eux ! tous les amis de l’art professent pour ces grands hommes une vénération égale à leur reconnaissance. »

Dernièrement a été donnée à Genève, la première représentation française d’Adrienne Lecouvreur, musique de François Cilea.

La partition du jeune et déjà célèbre compositeur napolitain suit scène par scène la comédie dramatique de Scribe et Legouvé, traduite en italien par Colantti et retraduite en français par Paul Milliet. L’œuvre est vivante et mélodique ; l’influence de Massenet s’y fait sentir. La représentation a été un gros succès.

Un pianiste en sandales et tunique blanche ferait rire dans une opérette, mais nous ne pouvons nous imaginer l’effet qu’a dû produire à Naples, un Allemand, Lutzow, qui s’est présenté devant un auditoire de concert dans cet accoutrement et cela pour taper du piano. En temps de carnaval, une pareille mascarade serait plus ou moins acceptable, mais cette réclame faite en tunique blanche et sandale en temps ordinaire dépasse les bornes. Et on parlera encore d’Alcibiade !  !  !

Le compositeur Paul Dukas travaille, en ce moment, à un opéra dont Maurice Maeterlinck a écrit le livret, Ariadne et Blaubart.

Pietro Mascagni a un grand avantage sur sa musique : on l’admire. Il a, dans le monde de la critique, des amis dévoués, qui vantent ses qualités personnelles lorsqu’ils ont à formuler un jugement sur l’une ou sur l’autre de ses œuvres. Ainsi, ils ne sont jamais embarrassés. Ces jours-ci, l’illustrissime maëstro les avait conviés, au théâtre Del Verme, à Milan, à la première de son opéra Iris, qu’il dirigeait en personne. Qu’on fait les amis dévoués au lendemain de la représentation ? Se gardant bien d’apprécier la musique du maître, dont ils ne pouvaient méconnaître l’incurable faiblesse, ils se sont empressés de le proclamer le premier des dramaturges italiens modernes, en déclarant que sa présence au pupitre, la conviction chaleureuse avec laquelle il avait dirigé son œuvre, avaient exalté au plus haut point la sympathique curiosité du public.

Les débuts de Massenet.

Lorsqu’il fut admis au Conservatoire, Massenet, dont les ressources étaient des plus modestes, se vit obligé, pour vivre, d’entrer aux Nouveautés comme choriste, puis au Gymnase, comme triangle, et au Théâtre lyrique, comme timbalier.

Après qu’il eut écrit Marie-Magdeleine, dans l’espoir que la partition pourrait être exécutée aux Concerts Populaires, il demanda une audition au créateur de ces concerts. Par une triste et pluvieuse soirée de février, il gravit, le cœur ému, l’escalier du redoutable Pasdeloup. Or, pendant qu’il jouait, au piano, son œuvre d’une si haute inspiration, Pasdeloup s’amusait à ouvrir et à fermer alternativement une fenêtre, pour faire sortir la fumée que renvoyait la cheminée. Massenet contempla longtemps, le cœur plein de tristesse, le portrait de Gluck, appendu au mur, qu’une balle avait troué pendant la Commune, puis il rassembla les feuillets épars de sa musique, attendant quelques mots d’encouragement. Hélas ! son attente fut vaine ; c’est à peine si, lui frappant sur l’épaule, lorsqu’il partit, Pasdeloup consentit à lui dire : « Allons, mon