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des contemporains de Berlioz acceptant, les yeux… ou plutôt les oreilles fermées, l’attribution de l’œuvre à un obscur maître de chapelle du dix-septième siècle.

Certes mille détails d’instrumentation et surtout de style auraient dû exciter une juste méfiance, mais on était cependant si loin de la manière habituelle de Berlioz qu’il y avait bien de quoi s’y tromper.

L’œuvre ne sera jamais populaire comme la Damnation ; son cachet de distinction la préservera peut-être d’un enthousiasme facile mais elle aura une place de choix au fond du cœur des musiciens délicats.

Vraiment M. Colonne a droit aux plus sincères et aux plus enthousiastes éloges pour la façon dont il a monté cet ouvrage.

On est assez habitué à l’excellence des chœurs et de l’orchestre dans la Damnation, c’est connu, archi-sû et par conséquent il semble à première vue que cela doive naturellement marcher tout seul. Au contraire voici une œuvre de moindres proportions, il est vrai, mais n’ayant pas été jouée depuis quelques années et cependant tout a marché avec une précision, une aisance et une souplesse vraiment admirables. On a bissé d’acclamation le fameux trio des Jeunes Ismaëlistes pour deux flûtes et harpe ; on ne pouvait rêver une meilleure exécution que celle qu’en ont donné Mme Provinciali-Celmer et Mrs Barrère et Blanquart.

L’interprétation vocale fut également au-dessus de tout éloge de la part de Mme Auguez de Montalant (Marie), de Mrs Jan Reder (Joseph), Dantu (le Récitant), Lafont (Hérode) à la voix très belle et à la diction parfaite, enfin Mrs Ballard, Sigwalt et Mallet.

J’ai cité tout le monde ; et vraiment il eut été injuste de ne pas le faire. Si quelque Lyonnais dilettante s’aventure dans la Ville-Lumière aux approches de Noël, il ne saura faire, je pense, un meilleur emploi de sa matinée dominicale qu’en venant entendre l’Enfance du Christ avec l’interprétation idéale du Châtelet.

Ed. Millioz.

Sous la direction de M. Reynaldo Hahn, ont été données la semaine dernière au Nouveau-Théâtre, à Paris, des auditions intégrales,

et dans le texte original, du Don Juan de Mozart.

Parmi les interprètes, citons Mme Lili Lehmann, la grande cantatrice autrichienne (donna Anna) et notre compatriote Victor Blanc (Masetto) dont nous avons annoncé il y a deux mois les débuts dans le Crépuscule des Dieux aux concerts Lamoureux.


BIBLIOGRAPHIE

Hector Berlioz et la Société de son temps, par Julien Tiersot (librairie Hachette, 3 fr. 50).

Voici un livre qui paraît à son heure, puisque l’heure est à Berlioz et que le monde musical fête de toutes parts son glorieux centenaire. Mais quand l’heure sera passée, ce livre continuera de demeurer comme l’étude la plus sérieusement documentée et la plus pénétrante qu’on ait encore consacrée à l’illustre musicien.

On l’a dit : Berlioz n’était pas seulement un romantique ; c’était le romantique même. Avec son génie violemment individuel, sa sensibilité débordante, son amour audactieux de la couleur, son goût passionné pour les littératures étrangères et particulièrement pour la poésie de Shakespeare, il n’est pas seulement le contemporain des Hugo et des Delacroix ; il est, de tous les hommes de cette admirable génération, celui peut-être qui la représente et la résume le plus complètement.

Le premier mérite de M. Tiersot c’est de l’avoir compris et d’avoir replacé Berlioz dans le courant de la vie romantique, de nous l’avoir montré en relations avec les Vigny, les Dumas, les Balzac, les Georges Sand, et revivant lui-même tour à tour les passions de Faust et de Roméo, de Werther et d’Antony.

Mais, non moins qu’sa personne et son tempérament, l’art de Berlioz est étudié ici dans ses origines et dans son développement, puis exactement défini par ses affinités et ses contrastes. C’est ainsi qu’en nous transportant au pays de Berlioz, M. Tiersot nous révèle à la fois quelques-unes des plus touchantes intimités de sa vie et certaines origines lointaines, mais incontestables, de son inspiration musicale. En le rapprochant ailleurs des musiciens de son temps, ou en opposant son œuvre à la leur, il nous fait saisir, avec une précision qui ne sera pas dépassée, les traits essentiels et caractéristiques du génie de Berlioz : en particulier la ques-