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Notes historiques sur CARMEN

La première représentation de Carmen eut lieu à l’Opéra-Comique le 3 mars 1875. Le public fut un peu surpris, légèrement déconcerté et presque scandalisé. On se déclara choqué du réalisme du livret que le compositeur avait, dit-on, férocement maintenu et surtout des amours de la Carmencita bien vulgaires pour le temple des entrevues matrimoniales. La partition eut peu de succès ; l’air du « Toréador » fut, il est vrai, bissé, mais la mélodie fut, en général, jugée brumeuse, le coupe des morceaux peu claire, les chœurs tourmentés et ambitieux et tout l’ouvrage long et diffus.

L’interprétation était très bonne avec M. Bouchy (Escamillo). Mlle Chapuy, (Micaëla). Lhérie (Don José), enfin Mme Galli-Marié qui réalisait admirablement le type de Carmen.

Personne ne crut à l’avenir de l’œuvre et tout le monde approuvait un peu cette boutade d’un spectateur qui, apprenant que Bizet recevait la Légion d’honneur le jour même de la première de Carmen, disait : « On l’a décoré le matin parce qu’on savait bien qu’on ne pouvait plus le décorer le soir ! ».

On sait que Bizet n’a pas pu assister au triomphe de son œuvre ; il mourut le 2 juin 1875, trois mois après la première de son chef-d’œuvre. Détail curieux, une femme avait eu le pressentiment de ce malheur, s’il faut en croire M. Reyer qui écrivait dans son feuilleton du Journal des Débats : « Un soir pendant le Trio des cartes, Mme Galli-Marié ressentit une impression inaccoutumée en lisant dans son jeu les présages de mort. Son cœur battait à se rompre ; il lui semblait qu’un grand malheur était dans l’air. Rentrée dans la coulisse, après des efforts violents pour aller jusqu’à la fin du morceau, elle s’évanouit. Quand elle revint à elle, on essaya de la calmer, de la rassurer ; la même pensée l’obsédait toujours, le même pressentiment la troublait. Mais ce n’était pas pour elle qu’elle avait peur ; elle chanta donc puisqu’il fallait chanter. Le lendemain, Mme Galli-Marié

apprenait que, dans la nuit, Bizet était mort. »

Dans La Revue des Deux Mondes du 15 mars 1875, M. F. de Langennais constatait à propos de cette représentation que « l’opéra-comique de nos pères », c’est-à-dire celui de Boïeldieu, Aubert, Hérold et Adam, n’existait plus ; que la symphonie et l’opérette l’avaient tué…

Carmen fut joué à Lyon pour la première fois le 11 avril 1877 sous la direction Senterre avec Mlle Isaac (Carmen) M. Laurent (Don José) M. Chopin (Escamillo) et Mlle Galli (Micaëla).

Le Salut Public du 12 avril trouvait la musique charmante, la mélodie abondante, neuve et originale ; l’orchestration, à part peut-être quelques excentricités, concessions faites à la peste wagnérienne, chaude, vive et entraînante ; l’ensemble lumineux et représentant une des plus brillantes créations musicales des vingt dernières années.

Le Courrier de Lyon publiait le même jour un excellent article de M. Paul Aubry dans lequel nous relevons les appréciations suivantes : « Ce que l’on remarque tout d’abord dans cette partition c’est la haine du poncif, du vulgaire ; c’est la recherche d’effets harmoniques nouveaux et d’accompagnements piquants… On devrait fondre en un seul les deux derniers actes qui sont longs… Le duo de la séduction est un bijou… »

Mlle Isaac était excellente dans le rôle de Carmen bien qu’elle y manquât peut-être un peu de brutalité et que sa beauté opulente et généreuse s’accordât mal avec le caractère sauvage de cette gourgandine espagnole (Le Salut Public).

La première de Carmen fut donnée devant une salle pleine, mais l’accueil du public fut assez froid, quelques sifflets saluèrent même la chute du rideau.

MM. les Artistes et Organisateurs de Concerts qui désirent qu’il soit rendu compte de leurs auditions sont priés d’adresser un double service à la Rédaction de la Revue Musicale de Lyon, 117, rue Pierre-Corneille.