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me refuse à croire qu’elle soit du même auteur que les gloussements du Salut à la France et les « Rataplan, sergent, présent » qui ne discontinuent pas pendant cet inqualifiable duo du premier acte.

L’interprétation était digne de l’œuvre ; la toute maniérée et mignarde Mlle I. Davray, était fort peu indiquée pour jouer ce rôle martial ; les qualités vocales de MM. Boulo et Artus, n’ont, comme on sait, rien d’excessif. Tout compte fait, le plus intéressant était certainement M. Merle-Forest.

La soirée tirait son principal agrément de la représentation du Chalet, œuvre un peu défraîchie, et cependant bien supérieure à la pantalonnade militaire de Donizetti. On est heureux d’y rencontrer au milieu de longueurs déplorables, de roulades navrantes et de chœurs enfantins, quelques scènes, agréables comme le duo : Il faut lui faire oublier l’heure ou cette vieille phrase attendrissante : Dieu, soutiens mon courage, simplement écrite, et mélodiquement gentille.

Carmen

La publication à la fin de chaque saison théâtrale des statistiques indiquant le nombre de représentations des diverses œuvres musicales permet de constater certains faits de prime abord surprenants. C’est ainsi que le relevé des théâtres allemands montre que les pièces le plus souvent jouées outre Rhin sont les opéras comiques de Bizet. Djamileh, la jolie Fille de Perth, les Pêcheurs de Perles, œuvres exquises d’ailleurs, qui sont presque inconnues en France, figurent à chaque instant sur l’affiche de grands centres artistiques allemands, et Carmen y est joué plus souvent que Lohengrin, et détient ainsi le record. Les autres drames wagnériens ne viennent que bien après, conjointement avec Gounod en Allemagne, et Massenet en Autriche.

On ne peut dire que ce succès soit immérité, et qu’il ne s’agisse là que de l’engouement populaire qui a porté au pinacle les œuvres les plus regrettablement banales de l’école italienne, ou de l’école française milieu du xixe siècle. C’est que Carmen a toutes les qualités de fraîcheur, de charme et de séduction qui font la vogue des productions de M. Massenet, par exemple (Oh ! le succès de Cendrillon et de Grisélidis), et qu’en

outre, elle a les fondamentales vertus de sincérité et d’inspiration qui constituent les œuvres véritablement grandes et définitives. Ce n’est point cette harmonie savamment descriptive, où l’analyste peut fouiller des journées entières, découvrant à chaque instant quelque intention nouvelle, quelque détail encore inaperçu, quelque trait non encore distingué dans un dessin poussé à fond : la mélodie de Bizet est essentiellement colorée, à larges touches, à vives oppositions de couleurs, chaude comme ce pays d’Espagne, dont il a si clairement interprété le folklore, vivante et vibrante comme cette page intense de Mérimée qu’il a si adéquatement traduite ; douces ou dramatiques, tendres ou violentes, toutes les pages semblent également inspirées sans que jamais transparaisse le procédé, le faire, la machination, comme dans cet autre compositeur français trop habile et trop « métier » dont nous parlions un peu plus haut.

Quoique ce ne soit pas notre coutume d’insister sur l’interprétation ici, nous devons aujourd’hui nous arrêter à celle que Mme Charles Mazarin a donnée du rôle de Carmen, parce que cette interprétation est extrêmement personnelle et neuve. Mme Mazarin avait composé remarquablement le personnage de Salammbô. Sa beauté hiératique et froide, son allure hautaine, la profondeur de son regard, en faisaient une représentation intéressante de la femme antique, telle que nous la concevons, au moins d’après les reconstitutions un peu romanesques de Flaubert. Il n’y avait rien de moins en rapport avec le caractère de Carmen, passionnée, mouvementée, amorale, impulsive et inconsciente. Passer d’un rôle à l’autre, pouvait passer, à juste titre, pour un tour de force. En outre, l’artiste avait contre elle le souvenir d’actrices extrêmement remarquables, d’interprétations dort connues et présentes dans toutes les mémoires. Sans parler de Delna, que presque tous les Lyonnais connaissent, Carmen avait été joué d’une façon parfaite par Mme Bressler-Gianoli, une des artistes les plus consciencieuses et les plus admirables qu’il nous ait été donné d’applaudir. On ne saurait faire un reproche à Mme Mazarin d’avoir voulu faire autrement, et d’avoir

cherché une version neuve de ce rôle ; bien