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« Au contraire, si l’on interprète du Gluck, du Bach, ou du Wagner, il est essentiel que chaque détail, fût-ce un simple gruppetto, un simple apoggiature, soit traduit comme une partie intégrante de l’œuvre. Dans Gluck, par exemple, la déclamation lyrique, tout en demandant de la vie et de la chaleur, doit demeurer assez austère, assez digne dans la passion même pour que la ligne mélodique garde sa noblesse et se déroule non pas pompeusement, certes, mais avec un certain décorum… »

M. Arthur Pougin, le musicographe bien connu, dont les opinions très spéciales sur R. Wagner, en particulier, s’étalent dans les colonnes du Dictionnaire Larousse, a porté récemment sur l’Étranger ce jugement original :

« La partition de l’Étranger n’est autre chose qu’une vaste leçon d’harmonie, ou mieux un traité pratique de modulation qui dure près de deux heures, ce qui est peut-être excessif pour un exercice de ce genre dont le charme est un peu subtil. Par exemple, quand on a étudié ça on sait à quoi s’en tenir sur la manière de passer de tonalité en tonalité sans courir le risque de s’appesantir un instant sur une seule. Il n’y a pas dans ces deux cents pages de musique huit mesures, que dis-je ? il n’y a pas quatre mesures de suite qui soient dans le même ton. Quand on sort de là, on donnerait un billet de la Banque centrale de Monaco pour entendre le commencement de la cavatine de Figaro dans le Barbier de Séville. Songez donc ! quarante mesure en ut, sans même l’ombre d’un accord diminué ! C’est ça une joie !

« Quant à de l’inspiration, il y en a dans l’Étranger comme dans le creux de ma main. Des dièses, des bémols, des doubles dièses, des doubles bémols, des accords fantasques, des agrégations étranges, des cadences évitées, des enharmonies, tout ce que vous voudrez ; mais pour le reste, bernique ! Je me suis pourtant laissé dire qu’il y avait dans la partition des leitmotive. Je n’en crois pas un mot, car pour ça il faudrait qu’il y ait au moins des motifs, et dame… »

L’immortalité assurée aux critiques de Scudo sur Richard Wagner, nous la promettons sans crainte aux chroniques musicales de M. Arthur Pougin…

CORRESPONDANCE DE PARIS

GRANDS CONCERTS

Damnation de ci, Damnation de là, nos deux grands chefs d’orchestre ont en effet avant-hier soir exécuté, avec un égal succès, comme vous le pensez, le chef-d’œuvre du Maître dauphinois. Ce matin même MM. Colonne et Chevillard coudoyaient dans le gentil et tranquille square Vintimille, d’autres notoriétés musicales ; Alfred Pruneau, Georges Marty, Gabriel Pierné, votre distingué compatriote Alexandre Luigini, Georges Hüe, Théodore Dubois, etc., venus faire un émouvant pèlerinage au pied de la statue de Berlioz.

L’auteur si passionné et si ardemment sincère du Rêve et de l’Attaque du Moulin a lu un très beau discours au nom de l’Association des artistes musiciens.

Puisque les concerts me laissent quelque répit, j’en veux profiter pour vous dire un mot de la première matinée littéraire et musicale qui eut lieu hier au coquet petit théâtre Victor-Hugo, sur la Butte Sacrée et dont l’initiative est dûe à deux charmants et accueillants Lyonnais, MM. Louis Payen, et Emile Vuillermoz. Après un prologue dit par M. Armand Bour et dû à la plume délicate et spirituelle de M. Payen, on entendit Trois Rondels de Charles d’Orléans, des fragments d’œuvre de Verlaine, de Victor Hugo, de Louis Bouilhet, Albert Samain, de Catulle Mendès et d’autres que j’oublie, puis la musique, cette sœur ailée de la poésie, vient à nous sous la forme de mélodies de MM. Fauré et Georges Huë, chantées par Mmes Raunay et Mayrand.

Qui dira en particulier la chaste et tendre mélancolie de Soir de Fauré, sur l’admirable poème de Samain ?

Qui dira également la grâce musquée,