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À cela près, on voit combien Chausson s’est attaché à conserver les traits et les événements essentiels de la légende. Il n’est pas jusqu’au dénouement qui n’ait été conservé intact, sauf certains détails épisodiques, en ce qui concerne Arthus. Par contre, la destinée des deux amants n’est plus la même, puisqu’ils périssent au lieu de survivre pour se repentir.

La conclusion de la destinée d’Arthus échapperait à toute critique par le seul fait d’avoir été prise à l’histoire même du roi, si fidèlement transcrite par Chausson. Mais, en réalité, la raison d’être de cette glorification mystique du fondateur de la Table ronde s’explique de façon beaucoup moins sommaire, étant donné surtout la nouvelle versions de la fin des deux amants. Et c’est précisément le même point qui nous permettra de dégager la signification philosophique du drame et qui nous montrera en même temps combien profonde est la différence qui sépare celui-ci de Tristan et Isolde.

Nous savons le parallélisme des deux légendes ; un parallélisme apparent des deux drames en est la conséquence inévitable. Lancelot, Genièvre et Arthus ne diffèrent pas foncièrement de Tristan, d’Isolde et de Marke. Jusqu’à la dernière scène même, je concède qu’il n’y ait aucune discrépance essentielle dans la succession respective des évènements. Mais, quand le roi Marke reste seul devant Tristan mort et Isolde mourante, c’est à celle-ci qu’est destinée la dernière extase ; c’est l’amante qui s’en va radieuse et comme en un rêve de joie infinie au delà de l’humanité. Tel n’est point le sort de Genièvre, et c’est au contraire Arthus qui se nimbe de gloire, après avoir été, comme l’indique le titre de l’œuvre, au premier plan de tout le drame. Si, par Wagner, la passion est montrée comme le facteur premier de la destinée humaine, comme la puissance qui triomphe des événements et de la vie même, Chausson, au contraire, en fait

un élément de trouble, un mal, en face duquel prévaut, en fin de compte, la hautaine et inflexible conscience du devoir, et Arthus reçoit la gloire suprême « parce qu’il a cru en l’Idéal ».

Ne nous arrêtons donc pas à considérer quelques superficielles analogies et cherchons dans Le Roi Arthus ce qui y est bien réellement, c’est-à-dire l’expression d’une sensibilité ingénue, sincère et profonde, l’œuvre d’un poéte et d’un musicien auquel ne manquèrent ni la douceur, ni la puissance, ni la beauté de l’expression et à qui appartient bien en propre l’œuvre qu’il a créée.

On trouvera peut-être un peu sommaire, dans la présente analyse, la partie consacrée à la musique. Mais la partition d’Ernest Chausson n’est pas de celles dont un travail thématique complexe et rigoureux rend utile une dissection approfondie. La trame en est franche, très mélodique ; les ensembles vocaux, notamment les grands chœurs de la scène finale, sont traités de façon fort intéressante. Quant à l’instrumentation, elle présente quelques particularités, notamment l’emploi des timbales chromatiques, de la clarinette contrebasse, de petites cymbales antiques et des quatre trompettes. Une troisième grande flûte vient s’ajouter aux deux formant avec la petite flûte le trio habituel.

Le premier manuscrit de la partition d’orchestre porte, à la fin du premier acte, l’indication : Morgins, août 1895. L’instrumentation du troisième, commencée à San Dominico da Fiesole, fut achevée à Bas-Bel-Air, le 25 décembre 1895.

M.-D. Calvocoressi.

La première représentation du Roi Arthus a été donnée le 30 novembre à la Monnaie. L’œuvre a remporté un très vif succès. Elle était interprétée par l’ancien cor solo de notre Grand-Théâtre, M. Brin-Dalmorès (Lancelot), M. Albers (Arthus), et Mme Paquot (Genièvre dont le nom a été

transformé en celui de Guinèvre).