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n’y ont été préparés par une longue culture antérieure, et que le wagnérisme par exemple est un luxe que les petites gens ne peuvent pas s’offrir. Et comme preuve on nous montre l’indifférence générale qui accueillit Siegfried prôné seulement en dehors des amateurs convaincus, par quelques snobs imbéciles qui traînaient là leur élégance bête, comme ils l’eussent fait aux courses ou à l’hippique. Mais Siegfried avait été monté en dépit du bon sens, coupé et raturé d’une absurde façon, et chanté (par M. de Cléry et Mme Lafargue surtout) d’une manière tellement regrettable qu’un de nos bayreuthiens les plus compétents et les plus connus, m’avouait, le soir de la première, s’être ennuyé pour la première fois de sa vie à l’audition d’une œuvre du Maître.

L’indiscutable succès remporté par Tristan et Isolde auprès de tous les publics et dans tous les milieux, ouvriers ou bourgeois, était cependant une preuve aveuglante de ce fait qu’on peut aimer et admirer une musique extrêmement difficile et complexe sans en comprendre la technique et la contexture, ou ce qui revient au même qu’on peut subir le charme d’une langue dont on ignore le graphisme. Il est bien évident qu’on ne peut demander à un coltineur d’avoir des notions contrapuntiques précises, ou d’être versé dans la science des fausses relations de triton et des renversements praticables ou impraticables de septième de sensible (et c’est d’autant plus à propos que les grands maitres ont pris avec ladite science toutes les libertés imaginables) ; mais, conduisez cet homme nullement préparé à l’audition de Tristan, et s’il est capable d’un sentiment ou même simplement d’une sensation, il sera violemment ému, et pour peu qu’il éprouve deux ou trois fois l’impression que donne inéluctablement cette musique il ne voudra plus en entendre d’autres. C’est à quoi nous marchons tout droit et en bloc, musiciens, critiques, amateurs, et peuple tout ensemble.

Ce qui vient de se passer depuis huit jours à Lyon, confirme d’une façon péremptoire l’opinion que j’émets ici. D’autant mieux qu’il ne s’agit point en l’espèce de la lutte entre une œuvre antédiluvienne et une œuvre

wagnérienne, mais bien de la comparaison d’un drame lyrique du maitre de Bayreuth avec un opéra tout récent, écrit il est vrai dans le vieux style. La Bohème de Léoncavallo, fait des recettes dérisoires et Tannhaeuser a remporté le plus triomphant succès qui se soit vu depuis longtemps.

Apprécier Tannhaeuser est chose déjà plus délicate que d’aimer Lohengrin. Comme le disait si spirituellement l’autre jour notre confrère le Dr Marc Mathieu, les bourgeois qui applaudissent Lohengrin se donnent l’illusion de comprendre Wagner. Ceux qui applaudissent Tannhaeuser ont déjà un peu plus qu’une illusion. Et encore faut-il distinguer ceux qui préfèrent le second acte (il y a chez ceux-là un vieux levain d’italianisme) et ceux qui apprécient plus spécialement le prélude ou le récit du voyage à Rome.

Quoiqu’il en soit la représentation de samedi a été un succès comme il nous a été rarement donné d’en voir au Grand-Théâtre. Une ovation triomphale a été faite à l’orchestre à la fin du prélude. Il est hors de doute que nous devons une reconnaissance infinie à M. Flon, dont on a reconnu la très heureuse influence sur l’organisation et la mise au point de l’ensemble. C’est à lui, d’ailleurs, qu’allaient l’autre jour les bravos d’un public véritablement enthousiaste. L’interprétation était d’ailleurs des plus remarquables : Mlle Janssen a été parfaite scéniquement et musicalement ; je ne puis que répéter ici, ce que je disais il y a quelques semaines au sujet de son interprétation d’Elsa : sa voix, sa méthode, sa mimique, tout en elle donne l’impression de la perfection même. Quant à M. Verdier, nous avons été agréablement surpris de la façon fort intéressante dont il a chanté et surtout joué ce rôle écrasant : il mérite les plus entières félicitations pour la façon dont il a mis en valeur les moindres détails de son long récit du troisième acte. Nous tenons spécialement à dire combien nous avons apprécié la façon exceptionnelle dont les rôles secondaires étaient tenus : M. Roosen et M. Vialas ont fait augurer le plus heureusement du monde de leur future interprétation tétralogique. Quant à la bacchanale du ier acte, sa splendeur relative rappelait beaucoup plus les traditions allemandes