Page:Revue Musicale de Lyon 1903-10-27.pdf/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
revue musicale de lyon

par le sacrifice que Schahabarim lui a d’ailleurs implicitement laissé prévoir. L’intention de l’auteur est au contraire fort habilement rendue.

La symphonie du combat et la scène du champ de bataille ne présentent rien de saillant : elles sont développées d’une façon déraisonnable, et ne laissent qu’une impression de longueur. Citons cependant la phrase de Mathô réclamant le supplice (la mineur 3/4).

Le cinquième acte se divise musicalement en deux parties bien distinctes : d’une part la marche, destinée uniquement à mettre en valeur le luxe du décor et de la figuration, et d’autre part un final fort bien écrit, et qui constitue la page la plus remarquable et de beaucoup de la partition, et une des meilleures de Reyer. Les thèmes de Mathô, de Tanit, la psalmodie des noms de la déesse se succèdent et le rideau baisse sur la mort des deux personnages principaux tandis que l’orchestre lance une dernière fois le motif du voile sacré.

Comme on peut le voir par cette analyse, la partition de Salammbô constitue pour Reyer un pas en avant dans le sens du drame musical. Sigurd appartenait nettement à la catégorie de l’opéra classique français. Salammbô est évidemment plus moderne, d’intention du moins. C’est à dessein que nous avons employé à plusieurs reprises les expressions de thème et de motifs. Ce sont bien en effet des motifs conducteurs que Reyer a voulu introduire[1] : celui du Zaïmph, celui

de Tanit, celui de Salammbô, celui de Matho amoureux sont assez caractéristiques.

L’emploi qui en est fait n’est pas toujours la perfection même : et cela tient essentiellement à une cause : les thèmes de Salammbô reviennent presque toujours au même instrument et dans le même mode, et la même tonalité, ils ne sont ni affermis, ni fondus, ils ne s’unissent pas à un ensemble harmonique, ils sont toujours isolés et pour ainsi dire à découvert. C’est ainsi que le thème du Zaïmph, toujours accompagné de tierces et de gammes, est constamment confié aux trombones et tubas, que le thème de Tanit ne quitte pas le cor, et se représente régulièrement en sol bémol, que le thème de Salammbô n’est jamais confié qu’aux violons, etc.

Si Reyer traite d’une façon un peu primitive les motifs conducteurs, il faut reconnaître par contre qu’il soigne de consciencieuse façon la déclamation dramatique et les récitatifs ; le tableau du temple de Moloch en offre de fort bons exemples.

Harmoniquement, Salammbô ne brille pas par ses audaces. On l’a dit : Salammbô est le triomphe de l’accord parfait ; les accords parfaits majeur et mineur et les différents renversements sont la base solide sur quoi repose toute l’œuvre. Rarement, Reyer se permet une quinte diminuée. La septième de dominante et ses renversements, les septième de sensible et neuvième de dominante sont sobrement employées, presque toujours sans altération. L’harmonie dysharmonique semble lettre morte pour le compositeur. Il en résulte une impression d’uniformité et d’ennui qui est peut-être le plus grave défaut de cet opéra. Ajoutez à cela le petit nombre de tons employés, et la régularité des rythmes et l’on comprendra pourquoi la musique de Reyer semble rapidement monotone.

L’orchestration présente un défaut plus grave encore, et en tous cas plus saillant, défaut qui est comme la caractéristique de Sigurd et qui est loin de s’effacer ici. C’est le trop de gravité de l’instrumentation, et l’abus des sonorités sourdes. Les violoncellistes se plaignent avec raison de la difficulté de leur partie, plus complexe certes que celles des violons. Mais ce n’est pas dans le quatuor qu’est le vice essentiel : c’est du côté des bois

et des cuivres. L’orchestre de Salammbô com-
  1. Sigurd contenait déjà une première ébauche de cette tendance. On se souvient du motif, répété d’ailleurs à l’excès, proposé par tous les instruments et dans tous les tons, qui sert à peindre la conquête de la Brünnhilde. Je reviendrai d’abord longuement sur l’emploi et les altérations de ce thème, lorsque j’essaierai de rendre compte de la reprise de Sigurd. Il ne faut pas croire d’ailleurs que le fait d’attribuer un thème caractéristique à une situation ou à un personnage soit d’essence purement wagnérienne : Meyerbeer lui-même ne s’en est pas privé (choral de Luther dans les Huguenots, pizzicati de violoncelle et de contre-basse annonçant l’entrée de Marcel, etc). Citons par dessus tout le réjouissant exemple des leitmotiv des Mascottes et de Pippo gardant ses moutons qui viennent si pittoresquement s’unir et se superposer au troisième acte de la Mascotte. Ce qui caractérise le procédé wagnérien dans le Tétralogie et Parsifal, c’est non la réminiscence de. phrases déjà entendues, mais l’altération, la modification la fusion et l’enchaînement des thèmes caractéristiques en motifs conducteurs.