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chevelure de celle qu’il prend pour un guerrier l’étonne. De son épée (motif de Nothung) il coupe les attaches de la cuirasse : « Ah ce n’est pas un homme ! Un brûlant enchantement fait palpiter mon coeur, un trouble ardent saisit ma vue ; mon esprit vacille et s’égare… autour de moi tout flotte ; un feu mortel consume mes sens ; sur mon coeur ma main tremble. Qu’ai-je donc, lâche ? Est-ce là, la Peur ? » À ce mot, aux thèmes de Freya[1] et de l’Enchaînement d’amour[2] succède le motif de Brünnhilde endormie. Ce que l’orchestre nous prophétisait depuis la première scène de l’oeuvre, s’est accompli. Le héros que n’ont pu effrayer ni le feu, ni le dragon, le vainqueur de Fafner et de Wotan a tremblé pour la première fois devant une femme endormie. Dans son trouble, il invoque sa mère, qu’il n’a point connue, dont Mime seul lui a parlé jusqu’alors, mais à laquelle sa pensée revient à toute heure, et le motif de la compassion de Sieglinde chante à l’orchestre comme il avait fait lorsque le héros songeait dans la forêt, en attendant Fafner, et quand auparavant déjà, il interrogeait ardemment le Niebelung sur son origine[3].

« Pour m’éveiller moi-même, éveillons la dormeuse » et comme pour montrer que sa craintes’enfuit, le thème guerrier de Nothung résonne. Il se penche sur la Walküre, et scelle ses lèvres à sa bouche. Au thème de l’Enchaînement d’amour, succède le thème du Réveil ou du Salut à la lumière[4].

« Quel héros m’a réveillée ? » demande Brünnhilde, Siegfried se nomme, tandis qu’accompagné par de larges accords, s’élève le thème altéré de Siegfried gardien de l’épée[5].

« Ô bénie soit la mère qui l’enfanta… seul ton regard avait le droit de me voir, je ne devais me réveiller que pour toi ! Ô Siegfried ! Siegfried ! bienheureux héros ! éveilleur de la vie, toi victorieuse lumière ! Ô si tu savais, joie du monde, combien je t’ai toujours aimé avant même que tu fusses au monde,

mon bouclier t’a protégé ». Le héros naïf interprète ces paroles d’étrange manière. « Tu es donc ma mère, elle n’est point morte », et, une dernière fois apparaît le thème de la compassion de Sieglinde[6]. Ô, ingénu, ta mère est à jamais absente, mais moi je t’appartiens », et tandis que les motifs du Liebeslust (plaisir d’aimer) et du Liebesgruss (salut à l’amour) se succèdent et s’enchaînent. Brünnhilde rappelle sa divinité perdue : « Le heaume ne couvre plus ma tête… ma cuirasse est là qui ne me protège plus… je ne suis plus qu’une femme ». « Au travers du feu, reprend Siegfried, je suis venu sans armures, sans cuirasse qui préservât ma chair : jusque dans ma poitrine la flamme a pénétré : tout mon sang bouillonne. » Et, d’une étreinte passionnée, il enserre la Walkyrie, qui se révolte. « Nul dieu ne m’approcha jamais : devant la vierge s’inclinaient les héros, c’est pure qu’elle a quitté le Walhalla. » Aux supplications de Siegfried répond le thème alangui de la Paix du Bonheur, que Brünnhilde reprend après l’orchestre[7] : « Réveille toi, implore Siegfried ; ô vierge, éveille toi. Vis et ris doux amour, douce joie. Sois à moi ! sois à moi ! sois mienne ! » « À toi ! si maintenant je suis à toi ! ma paix divine se gonfle en vagues furieuses, ma chaste lumière en flammes d’incendie ; ma science céleste m’abandonne, chassée par les clameurs d’allégresse de l’Amour… Tout mon sang roule par torrents vers toi, ce feu sauvage ne le sens-tu point ? »

Rien n’est plus dramatique que la façon dont cette phrase de poème se transcrit musicalement. Wagner voulant indiquer l’apparition du désir dont le cœur de Brünnhilde, la transformation de l’affection protectrice que la Walkyrie avait pour le jeune héros, en amour humain, l’adjonction de l’attract physiologique à la sympathie morale, a eu l’audacieuse et géniale pensée d’introduire à l’orchestre le thème du dragon, qui par deux fois vient gronder aux cuivres graves. Jamais plus audacieuse représentation du côté corporel, du côté animal de la passion n’avait été réalisée. Ce grondement de la bête qui dort au fond de tout organisme et s’éveille au

moment même où l’esprit plane dans les
  1. Motif du charme de la lumière et de l’amour.
  2. Liebesfesselung (Rheingold, acte 1).
  3. (3) Act II, sc. II, p. 174-175 (clarinette basse) p. 179, l. 1 (cor) et acte I, se. I, p. 37, l. 3 et 4 (cl. basse) p. 38, l. 2 et 4 (cl. basse), p. 39, l. 1 (violoncelle), etc.
  4. P. 296 et 297.
  5. P. 293, l. 2 9/8 ut majeur.
  6. P. 303, l. 2 3/4 mi mineur.
  7. P. 318, l. 4.