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REVUE MODERNE

chaman vers les déserts lointains du Nord, et, ayant trouvé une cabane inhabitée creusée dans la glace, ils en firent leur habitation.

Et, au bout de quelque temps, Anhelli s’accoutuma à nommer du nom de sœur cette femme criminelle et repentante.

Et elle était sa servante, s’occupant à préparer son lit de feuillage, à traire les rennes le soir, à les mener paître le matin.

Peu à peu la prière continuelle remplit son âme de larmes, de tristesse, d’espérance céleste : son corps en était devenu plus beau.

Ses yeux brillaient d’un merveilleux éclat et rayonnaient de confiance en Dieu ; ses cheveux s’allongeaient et la couvraient comme un large manteau ou comme la tente du pèlerin.

Et Anhelli s’étonnait de la voir tranquille sur l’avenir, elle qui jadis avait commis de grands crimes et dont les mains s’étaient même souillées de sang.

Et il s’étonnait que ses plaintes fussent douces et légères comme le vagissement de l’enfant innocent, lorsqu’elle enviait aux oiseaux leurs ailes célestes, à la vue des blanches mouettes qui montent vers le soleil et se plongent dans ses rayons.

Et elle avait peur de se souiller par des propos impurs et elle disait : Nous voici donc à deux dans cet immense désert : Dieu certainement nous écoute et nous regarde, et si nous lui demandons ce qui est bon il ne nous abandonnera pas.

Or le jour de la Sibérie arriva, et le soleil ne se coucha plus ; mais il courait autour du ciel comme dans l’arène un coursier au front blanc, à la crinière flamboyante.

Son effroyable lumière s’étendait sur tout l’horizon, et le bruit des glaçons entrechoqués retentissait comme la voix que Dieu fait entendre sur les hauteurs aux hommes misérables et abandonnés.

Et le chagrin et la mélancolie finirent par amener la mort de l’exilée : elle se coucha sur un lit de feuillage, au milieu de ses rennes, pour y mourir.

C’était à l’heure du coucher du soleil ; car depuis quelque temps les nuits avaient recommencé en Sibérie et le soleil disparaissait plus longtemps derrière la terre.

Ellenaï tourna vers Anhelli ses yeux pleins de grosses larmes et dit : Je t’aimais, mon frère, et je te quitte.

Et après lui avoir dit où elle désirait être enterrée, — sous le sapin qui croît dans le ravin sombre, — elle ajouta : — Que deviendrai-je après ma mort ?

Je voudrais rester auprès de toi sous la forme de quelque