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LE POÈME DE LA SIBÉRIE

la faiblesse. La première est l’aile des esprits sublimes, la seconde, la pierre des noyés.

Je te parle de ces choses, car tu t’abandonnes à la tristesse et perds l’espérance.

En parlant ainsi, ils arrivèrent près d’une troupe de Sibériens qui péchaient des poissons dans l’étang, et ces pêcheurs ayant aperçu le chaman, s’approchèrent de lui, en disant :

Ô roi, tu nous as abandonnés pour des étrangers, et nous sommes tristes de ne pas te voir parmi nous.

Reste avec nous cette nuit ; nous t’offrirons à souper, nous te préparerons un lit dans notre bateau.

Le chaman s’assit donc à terre et les femmes et les enfants des pêcheurs l’entouraient et lui faisaient diverses questions auxquelles il répondait en souriant, car elles étaient enfantines.

Mais après le souper, quand la lune se leva et que sa lumière se répandit sur l’eau tranquille et y traça comme une route dorée dans la direction du midi, les femmes et les enfants se mirent à parler tristement et dirent :

Hélas ! tu nous as quittés, et tu ne fais plus de miracles parmi nous.

Nous nous sommes donc mis à douter des choses de la foi, et nous doutons même de l’existence de notre âme.

Le chaman répondit en souriant : Voulez-vous que je fasse paraître l’âme devant vos yeux ?

Et les enfants et les femmes s’écrièrent tous ensemble :

Nous le voulons ! Fais-le !

Le chaman donc se tourna vers Anhelli et dit :

Que ferai-je avec cette foule de corneilles ? Veux-tu que je t’endorme, et qu’après avoir extrait ton âme de ton corps je la montre à ces incrédules ?

Anhelli lui répondit :

Fais comme bon te semblera, je suis en ta puissance.

Le chaman appela donc un des enfants de la troupe et le mit sur la poitrine d’Anhelli, qui s’était disposé comme pour dormir, puis il dit à cet enfant :

Pose tes mains sur le front de ce jeune homme et appelle-le trois fois par son nom d’Anhelli.

Et à l’appel de l’enfant sortit d’Anhelli un esprit d’une grande beauté, rayonnant des plus brillantes couleurs ; de blanches ailes étaient attachées à ses épaules.

Et se voyant libre, cet ange se dirigea vers le lac, et, suivant le reflet lumineux de la lune, il prit sa route vers le midi[1].

  1. La Pologne est au midi, relativement à la Sibérie.