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REVUE MODERNE

des traîneaux attelés de chiens, un troupeau de rennes aux ramures élancées, des hommes chaussés de patins et portant des javelots : c’était tout le peuple des Sibériens.

En tête marchait le roi de ce peuple, qui en était en même temps le prêtre ; il était vêtu, suivant l’usage, de fourrures et de coraux, et sur sa tête il avait une couronne de serpents morts en guise de diadème.

Or, ce chef s’étant approché de la troupe des exilés, leur adressa la parole dans leur langue maternelle et dit : Salut !

J’ai connu vos pères[1] malheureux comme vous, et j’ai vu qu’ils vivaient craignant Dieu et qu’ils mouraient en s’écriant : Patrie ! Patrie !

Je veux donc être votre ami et conclure alliance entre vous et mon peuple, afin que vous viviez dans une terre hospitalière et au milieu d’un pays bienveillant.

De vos pères aucun ne vit plus, hormis un seul qui maintenant est bien vieux : il est lié avec moi et habite loin d’ici dans une cabane isolée.

Si vous voulez que l’ami de vos pères soit votre guide, je resterai avec vous et je quitterai mon peuple, car vous êtes plus malheureux.

Le vieillard en dit plus long encore, et ils l’honorèrent, et ils l’invitèrent à entrer dans leur maison.

Et ils firent alliance avec les Sibériens ; puis ceux-ci se dispersèrent et allèrent demeurer dans leurs villages couverts de neiges, et leur roi resta avec les exilés pour les consoler.

Et ils s’étonnaient de sa sagesse, disant : Il l’a sans doute acquise près de nos pères, et ses paroles sont celles de nos ancêtres.

Or, il s’appelait le chaman[2] ; car c’est ainsi que le peuple des Sibériens nomme ses rois et ses prêtres, qui sont aussi magiciens.


II

LE CHAMAN


Le chaman, ayant étudié les cœurs de cette foule d’exilés, se dit en lui-même : En vérité, je n’ai point trouvé ici ce que je

  1. Les Polonais déportés lors des partages.
  2. On appelle chamans les prêtres des naturels de Sibérie.