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REVUE CONTEMPORAINE.

après une course aussi pénible, me causa une sensation délicieuse, mais je la goûtais à peine qu elle se perdit dans le sommeil.

L’accablement léthargique où je tombai d’abord se changea bientôt en un léger assoupissement, au travers duquel passaient les idées et les images. Je vis que la lumière était entrée assez largement dans ma caverne pour l’éclairer. J’aperçus tout près de moi ma brebis qui paissait quelques graminées du sol, et léchait le rocher salé. Je la pris sur mes épaules, étonné de la trouver si légère. Je revins ensuite à la maison. Mon retour fut facile et rapide. Je glissais sans faux pas sur les rochers et les broussailles, je courais sans effort à travers les fourrés les plus épais. En arrivant à la maison, je fus tout surpris d’y trouver un air de fête et d’y voir une grande affluence. J’interrogeai Dymas, qui me répondit : « Le moment est arrivé de marier Leucé. Voici des prétendants venus de toutes les villes voisines ; ils vont lutter de vitesse à la course. Prends part à la joute, et si tu l’emportes, Leucé deviendra ta femme. » Cette nouvelle ne m’effraya pas, elle me charma plutôt. J’étais le plus vite coureur de ce village, et je me sentais en ce moment une incroyable agilité, que l’ardent désir d’arriver au but devait accroître encore. On nous rangea à la lisière d’une prairie. Leucé, placée à deux stades de distance et assise sur un trône de verdure, devait être le prix de celui qui le premier toucherait le rameau qu’elle tenait à la main. Le signal donné, nous partîmes emportés par le tourbillon du désir. Déjà plus de la moitié de l’espace était franchi. J’étais fort en avant de mes rivaux, quand je me sentis pris de cette lassitude accablante qui m’avait contraint de me coucher dans la caverne. Mes jambes devinrent lourdes, mes jarrets fléchirent. Mes pieds, en touchant Je sol, n’y rebondissaient plus en longs élans, ils y traînaient comme un serpent à demi engourdi. Malgré des efforts inouïs de volonté, je perdis mon avantage ; mes rivaux me devancèrent à leur tour, et haletant je tombai dans la poussière qu’ils laissaient derrière eux.

Quand je me relevai, le prix était décerné. L’heureux vainqueur ramenait sa fiancée en triomphe. Leucé, resplendissante de beauté, passa près de moi, mais elle ne m’honora d’aucun regard, et moi, plein de honte et de colère, je m’enfuis, jurant de ne jamais revenir dans cette vallée témoin de mon humiliation.

Je me rendis à la ville de Gortyne, où je fus assez longtemps à trouver un asile, Enfin un maître d’école, qui enseignait la musique et la poésie, me reçut chez lui, et me donna des leçons des arts où il excellait. C’était l’époque où l’on venait d’introduire en Crète un instrument qui, depuis des années déjà, était en usage dans les iles de l’Archipel, la lyre à sept cordes. Alors aussi, les simples chan-