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ÉPIMÉNIDE DE CRÈTE.

envieraient ses compagnes. Cette promesse la fit sourire dans ses larmes. Ce fut comme un charmant rayon qui passa sur son visage tout humide et un peu pâle, et moi, ayant ce rayon dans les yeux et dans le cœur, je courus vers la montagne.

Elle n’était pas élevée, mais des précipices profonds déchiraient ses flancs abruptes, hérissés de rochers. On n’y trouvait pas de sentiers frayés ; il fallait s’ouvrir un passage à travers les hautes herbes et les broussailles. La maudite bête, qui semblait prendre plaisir à ma peine, n’apparaissait dans quelque éclaircie de la forêt que pour se perdre bientôt dans un fourré. La colère me transportait, et je fondais avec une fureur aveugle au plus épais du bois,’où les bêlements m’attiraient, mais c’était pour voir ma proie m’échapper encore. Au bout de plusieurs heures de poursuite folle, j’arrivai à une sorte de cirque naturel, placé dans la région la plus élevée de la montagne. Il était fermé de tous côtés par des rochers, excepté à son entrée qu’encombrait une végétation sauvage. « Maintenant, je te prendrai bien, » dis-je à la vue de la brebis qui courait effarée dans cette enceinte. Je m’élançai pour la saisir ; mais admirez mon malheur ; au moment où mes doigts effleuraient sa laine, elle disparut dans une fissure du rocher que je n’avais pas aperçue. Quoique étroite et obstruée de broussailles cette ouverture pouvait donner passage à un homme. Dans l’emportement de colère que me causa cette nouvelle déception je me précipitai après la brebis et je la poursuivis, sans faire attention que j’étais dans les ténèbres. Bientôt la sensation de l’obscurité complète m’arrêta court.

J’ouvrais les yeux tout grands, les dardant avec force, pour tâcher de voir quelque chose ; mais le passage de la lumière à la nuit avait été trop brusque, et j’étais comme aveugle. En cet état, il n’y avait pas à songer à continuer la recherche de ma brebis ; il fallait sortir de ce trou ténébreux. Mais lorsque je voulus marcher du côté où je pensais retrouver le jour, j’éprouvai une fatigue insurmontable. Une si longue course m’avait épuisé. Ma faiblesse, que je n’avais pas sentie tant que j’avais devant moi le but de ma course, me semblait accablante maintenant que je n’espérais plus atteindre ma brebis. L’air de cette caverne était lourd et tiède comme s’il eût été chauffé par des feux souterrains. Une invincible envie de dormir s’empara de moi. Souvent des pâtres et des chasseurs m’avaient averti de me d^r de ces assoupissements subits qui vous prennent au milieu d’une marche fatigante ; si on y cède, on peut ne pas se réveiller. Hais quand j’aurais dû en mourir je n’avais pas la force de résister an sommeil. Tout mon corps se détendit, mes jambes plièrent sous moi, et je m’affaissai sur la terre comme une masse inerte. Le repos,