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REVUE CONTEMPORAINE.

à la santés à la justice, à la concorde. Dans sa reconnaissance, elle voulut combler le sage de richesses ; il sourit et n’accepta qu’un rameau de l’olivier sacré de l’Acropole.

La veille de son départ, il consentit à s’asseoir au banquet d’adieux que lui offrait Solon. Là se trouvaient réunis les plus nobles Athéniens. A côté des juges sévères de l’aréopage, se tenaient des jeunes gens, Pisistrate, Mégaclès, Lycurgue et d’autres, espoir de la ville. Le repas frugal finissait. Les lampes répandaient sur la vaste salle une clarté incertaine. Un des convives venait de chanter en s’accompagnant de la lyre l’hymne d’Alcée à Apollon. Sous le charme de la musique et de la poésie, tous gardaient le silence. Les adolescents se taisaient, comme il convient à la jeunesse. Les vieillards se demandaient avec tristesse si la concorde à peine renaissante ne s’en irait pas avec le sage qui l’avait amenée. Solon pensait au poids de la tâche qui lui était imposée, car c’était à lui d’achever l’œuvre d’Épiménide. Il aurait voulu que le prophète, avant de le quitter, lui révélât son secret, lui apprît comment on peut faire du bien aux hommes sans les irriter, et comment on peut leur rendre la sagesse agréable. Il osa l’interroger.

« Épiménide, lui dit-il, ta présence parmi nous a fait cesser les maux dont les dieux nous accablaient. Maintenant que tu nous quittes, ces maux ne vont-ils pas renaître ? Ne veux-tu nous enseigner à les conjurer ? Ô sage ! dis-nous le secret de la sagesse.

— Ce secret, c’est l’épreuve de la vie, dit Épiménide ; j’ai vécu et j’ai profité de l’expérience.

— Ta vie a donc été merveilleusement éprouvée, puisque ton expérience a tant de prix ? Pardonne ma curiosité. Les Athéniens, tu le sais, sont avides de tout connaître. On nous a rapporté de ta vie des choses si étranges, que nous n’osions les croire. Aujourd’hui que nous connaissons ta puissance, ces récits ne nous étonnent plus, et il nous semble que la vérité doit Être encore plus étonnante que les contes de la renommée. »

Épiménide sourit. Il aimait Solon, et sa curiosité ne l’offensa pas. Peut-être aussi trouvait-il quelque plaisir à parler de lui-même. Les plus sages ne sont pas à l’abri de cette faiblesse.

Amis, dit-il, ma vie ressemble à une de ces chansons que récitent vos rhapsodes ; non pas à une des chansons d’Homère sur les héros argiens qui conquirent Thèbes, ou sur Achille, vainqueur d’Hector, mais à une chanson d’Hésiode sur le travail et l’emploi des jours. Vous l’écoutez avec respect parce qu’elle vous apprend comment les hommes, avec l’aide des dieux, font régner parmi eux la justice, la paix et la richesse, écoute donc la chanson de ma vie.