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REVUE CRITIQUE.

attachés comme des clous d’or à une voûte de diamant tournant à quelque distance du globe terrestre, mais des soleils rois de royaumes planétaires, qui égalent ou surpassent notre soleil, et dont la majesté laisse tomber, à travers des abîmes d’une profondeur incalculable, un rayon dédaigneux que recueille à leur insu, dans ses lointaines ténèbres, une pauvre terre obscure qu’ils ne peuvent apercevoir, l’homme a rabaissé son orgueil, et cessé de croire que le monde fût fait pour lui. Il est toujours de race divine, sans doute : mais, sans être de moins noble race, il n’est plus le seul de sa race, et d’autres dieux peuplent l’univers.

Il n’y a guère plus de deux siècles que Descartes, homme aussi prudent que hardi penseur, détruisait son Traité du Monde à la suite de la condamnation du système de Copernic. Il y a donc trop peu de temps que l’on commence à connaître le véritable système du monde pour que la doctrine de la pluralité des mondes habités, qui semble en résulter assez naturellement, soit très répandue. Elle a contre elle la vieille tradition, chère à l’orgueil des uns, qui n’estiment plus un bien dès qu’il cesse d’être un privilège, et voient la grandeur de l’homme anéantie si d’autres êtres la partagent ; chère à la paresse des autres, pour qui toute tradition est sacrée parce qu’elle est, que la recherche de la vérité inquiète, que la découverte d’une vérité nouvelle trouble ou dérange en leur repos ; chère à la foi craintive de ceux qui redoutent qu’on ne puisse donner à l’homme des compagnons de voyage habitant d’autres terres que la sienne, sans amoindrir l’homme, ni amoindrir l’homme sans atteindre le christianisme, et qui tremblent toujours que le christianisme, à la moindre atteinte, ne succombe : bien faible est donc le leur et bien fragile !

La science, qui se pique peu de respect pour la tradition et qui la combat si souvent sur tant de points, est-elle du moins favorable à une doctrine jeune encore, née de ses progrès ? Non. La science, dont l’esprit positif s’en rapporte peu à lui-même et ne consent guère à reconnaître que ce qui veut des yeux pour être vu, des mains pour être touché, regarde avec défiance une pensée qu’elle a enfantée et soupçonne une telle fille, savante peut-être mais si poétique, de n’être pas sa fille légitime. Elle ne sait pas si les autres soleils, comme le nôtre, ont des planètes ; elle ne sait pas si les planètes du nôtre, semblables à la terre astronomiquement, lui ressemblent à d’autres égards : que dis-je ? Elle sait qu’elles diffèrent de la terre en volume, en densité, celles-ci plus rapprochées, celles-là plus éloignées du soleil, trop chaudes ou trop froides, trop humides on trop sèches, trop molles ou trop dures, pour qu’on y puisse vivre. Les conditions de la vie leur font défaut, donc elles ne sont pas habitées. Il semble, à les entendre, qu’il n’y ait d’autres conditions possibles de la vie que celles qu’offre précisément le globe terrestre, lequel se rencontre, par un privilège unique et merveilleux, seul capable, seul digne de servir de séjour à des êtres vivants !

M. Camille Flammarion est un savant, un astronome, ancien élève astronome à l’Observatoire impérial de Paris, professeur d’astronomie lui-même ; il se place au point de vue de la science, il emprunte à la physique même et à la chimie, à toutes les sciences qui se disent positives,