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sciences qui n’étaient point alors en guerre. Il s’était lié d’amitié avec ce docteur, et lui avait parlé de ses peines, dont il parlait au monde entier. C’est à lui qu’à son retour dans Avignon il les confiait encore ; et, comme l’amour justifiait en lui les superstitions de son siècle, il demandait sérieusement à ce professeur un remède contre sa passion. Denis de Robertis lui envoya, pour spécifique, les confessions de saint Augustin, et Pétrarque ne quittait plus ce livre ; il l’étudiait, le commentait, le citait à chaque instant. Il semblait chercher dans les faiblesses de l’évêque d’Hippone la justification des siennes, et attendre du ciel la grâce que ce Père en avait reçue. Cette distraction ne fut pas plus efficace ; et certains biographes accusent ici la coquetterie de la belle Laure d’avoir voulu lutter contre l’influence de saint Augustin et de Cicéron. Ils pensent que, sans vouloir manquer à ses devoirs, elle se montrait flattée des hommages d’un amant aussi célèbre ; l’éclat de cette passion chatouillait sa vanité. Dès que le poète semblait vouloir se dégager de ses fers, elle se plaisait à le ramener par un coup-d’œil ou par un sourire ; et ces irrésolutions, ces dépits, ces rechutes de Pétrarque devenaient la matière d’autant de sonnets ou de ballades. Ce manége de coquetterie porte souvent malheur à celles qui l’emploient. Mais le bon Pétrarque était encore trop passionné pour ne pas être maladroit.

Deux grands projets roulaient alors dans sa tète, et lui promettaient des distractions plus nobles en lui inspirant de plus hautes pensées. Indigné d’avoir vu retomber le Saint-Sépulcre dans les mains des infidèles, il aurait voulu précipiter encore une fois l’Europe sur l’Asie ; il excitait les rois et les peuples à renouveler les expéditions des Philippe-Auguste et des Saint-Louis, et, dans une ode toute empreinte d’un enthousiasme religieux et poétique, il menaçait les Turcs et les Arabes du glaive terrible des chrétiens ; il reprenait ainsi le vaste dessein que le pape Jean XXII avait soumis, neuf ans auparavant, au roi de France, Charles-le-Bel. L’autre projet était moins vaste et surtout plus facile. Le séjour de la cour romaine sur les bords du Rhône était pour lui un objet perpétuel de honte et de regret. Ce sentiment allait même jusqu’à l’indignation, car il voyait franchement dans les Italiens modernes les successeurs naturels des Scipions et des Fabius, et, comme ses prétendus ancêtres, il traitait de barbares toutes les nations que les Alpes séparaient de sa belle Italie. Il secondait, il encourageait de ses vers latins et toscans les ambassades que Rome et Bologne ne cessaient d’envoyer au pape pour l’engager à rentrer au Vatican. Mais l’épître latine dans laquelle il prêtait à la reine du monde l’attitude et le langage d’une vieille femme que les ans et les malheurs avaient dégradée, faisait plus d’honneur à son patriotisme qu’à son génie. Hélas ! cette reine du monde était, comme le reste de l'Italie, déchirée par une multitude de factions rivales. C’était partout cette guerre interminable des Guelfes et des Gibelins. Parme, Plaisance, Gènes, étaient ensanglantées par les fureurs et les vengeances de ces partis, qui signalaient tour à tour leurs victoires passagères par le massacre ou l’exil des vaincus.