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ses poésies qu’il faut recueillir ces traits épars pour en former le portrait de Laure ; mais comme tous les amans poètes sont sujets à voir toutes ces perfections dans les objets de leur amour, la postérité en croira ce qu’elle voudra.

Pétrarque fut d’abord traité sans conséquence, comme on traitait alors les passions ambulantes des troubadours et des chevaliers. Mais, dès qu’il eut fait pressentir le but secret de ses hommages, la maison de Laure lui fut fermée. Elle évita la présence de l’indiscret, et déroba sous un voile les traits charmans qui l’avaient enflammé. Ce voile faisait le désespoir du poète. Il se plaignait à chaque instant de ce rempart mobile, qui lui cachait cette beauté cruelle. Ne pouvant dompter son amour, appelant vainement la mort à son aide, il espéra trouver dans les distractions d’un voyage le repos d’esprit qu’il demandait vainement au ciel et à sa raison. Il partit d’Avignon, en 1330, à la suite de Jacques Colonne, son ami, qui allait au fond du Languedoc, prendre possession de son évéché de Lombez. Mais rien ne put le guérir, ni les joyeux entretiens des troubadours, ni les conversations des savans commensaux de l’évèque, de Cello Stephani, de Louis de Bois-le-Duc, qu’il avait surnommés Lælius et Socrate. Le poète assista même avec indifférence à la célébration des jeux floraux, que Clémence-Isaure avait institués depuis sept années. L’amour le rappelait sur les bords du Rhône, et il n’y revint que pour subir des rigueurs nouvelles. Une seconde fuite ne fut pas plus heureuse. Il visita la France et sa capitale, où régnait, depuis six ans, Philippe de Valois. Il y retrouva les deux docteurs que Jean XXII y envoyait pour soutenir son opinion sur l’imperfection des peines de l’enfer et des joies du paradis jusqu’au jour du jugement. Le roi et la faculté de théologie était fort troublés d’une hérésie qui tombait de si haut, et Pétrarque put assister à la condamnation d’un pontife qui eut le bon esprit de se rétracter. L’accueil des Parisiens, les honneurs qu’ils voulurent lui rendre, les sonnets qu’on lui adressait, les prévenances de Nicolas Oresme, le plus célèbre de nos docteurs, rien ne put arrêter un esprit chagrin qui se fuyait lui-même. Il traversa les Pays-Bas à la hâte, visita en courant les villes de Gand, de Liége, d’Aix-la-Chapelle, de Cologne, où l’attendaient vainement les hommages des savans et des princes. Il s’étonne de l’empressement, de l’enthousiasme qu’i’excite chez ce peuple allemand, que dans son orgueil patriotique il a traité de barbare. Le souvenir de Laure domine tout, le désenchante de tout. Son esprit n’est occupé qu’à la célébrer en vers et en prose. Impatient de la rejoindre, il revient sur ses pas, brave les dangers de la vaste et sombre forêt des Ardennes. Il la traverse seul à travers les partis armés qu’y jettent les dissensions du duc de Brabant et du comte de Flandres. Il se confie, dit-il, au dieu qui protège les fous. Il regagne Lyon au plus vite, et rentre dans Avignon comme il en était sorti. Le dépit survint et n’eut pas plus de pouvoir sur son cœur. « Je voudrais pouvoir haïr, écrivait-il à Denis de Robertis, mais il est en moi quelque chose qui me force d’aimer. » Il avait retrouvé ce prêtre florentin à Paris, professant la philosophie et la théologie,