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sont les plus beaux fleurons de sa couronne poétique. Il avait écrit, jusque là, dans cette langue dégénérée que notre goût a flétrie du nom de basse latinité, et le Dante lui-même avait écrit en latin les premiers chants de son Enfer. Mais, grâce aux conseils de Brunetto Latini, son maître, l’auteur de la Divine Comédie ayant adopté le dialecte toscan, Pétrarque osa le prendre pour modèle ; et cette langue austère, un peu sauvage, que le Dante avait pour ainsi dire créée, reçut du génie plus doux de Pétrarque et sous l’inspiration de l’amour le plus tendre et le plus passionné, une grâce, une élégance, une harmonie que ses successeurs n’ont jamais surpassées. Qui lirait aujourd’hui le poëme de l’Afrique, écrit en latin par Pétrarque, et ses épîtres familières, et ses églogues latines, où sont jetées pêle-mêle les phrases et les pensées de Cicéron, de Senèque et de saint Augustin, devenu plus tard une de ses prédilections ? Quel homme du monde saurait aujourd’hui qu’il a existé un Pétrarque, ce Pétrarque n’eût aimé, si l’amour et sans doute le besoin d’être compris d’une femme ne l’eût forcé de peindre ses sentimens dans la langue du vulgaire ? Si notre curiosité a cherché dans ses œuvres latines quelle avait été la vie de ce poète, c’est que ses poésies italiennes nous avaient intéressés à connaître les moindres détails de cette vie, qu’elles en avaient fait l’homme de son siècle. Philippe Villani, son contemporain et son biographe, assure que tout le monde savait par cœur ses sonnets et ses odes. Les vieillards les plus graves, séduits par la douceur de ses poésies amoureuses, se faisaient un plaisir de les réciter. Elles ne sont pas pourtant sans défauts. Ceux qui les admirent le plus ne peuvent s’empêcher d’y remarquer des vers inutiles, des pensées froides, des comparai- sons bizarres, des concetti ridicules. Mais ces défauts, qui tiennent moins à l’expression qu’à la pensée, moins au poète qu’à son époque, ne nuisent en rien à la suavité d’une langue qui lui a dù sa clarté, sa souplesse, comme elle devait son énergie à l’âpre génie du peintre de l’enfer. L’amour, qui dominait l’imagination de Pétrarque, lui inspirait de ces pensées dont la délicatesse nous enchante, de ces expressions gracieuses et passionnées, que, depuis Tibulle, personne n’avait encore retrouvées. Il fourmille de ces vers qui s’échappent du cœur à l’insu de l’esprit, que le cœur seul peut entendre et traduire. C’est là ce qui lui a mérité le culte dont il a été l’objet, les titres glorieux que lui ont décernés ses compatriotes. C’est dans ces fragmens inimitables que Muratori le présentait comme un modèle de goût.

Un autre mérite se faisait remarquer dans ses poésies amoureuses, et Pétrarque le dut à la chasteté, à la délicatesse de sa passion. « La vierge la plus scrupuleuse, disait, deux ou trois siècles après, l’évêque Panigarole, pourrait les lire toutes sans rougir. Tout y est renfermé dans les bornes d’une décence austère ; dans les écarts passagers d’un tempérament de feu, qu’irritait encore une passion malheureuse, son imagination restait pure, et rien d’étranger à son amour ne corrompait la source de ses pensées. C’était, dit l’abbé de Sade, le pur platonisme embelli de toutes les graces de la poésie. » Il ose à peine révéler dans ses vers le nom de celle qu’il aime. C’est