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de licence. Jean XXII était cependant un pontife vénérable. C’était le fils d’un savetier de Cahors, qui, sous le nom de Jacques d’Euse, s’était élevé par son seul mérite. Son savoir lui avait valu la faveur du roi Robert de Naples, et, après s’être distingué dans ses trois évêchés de Fréjus, d’Avignon et de Porto, il avait succédé au pape Clément V dans le gouvernement de la chrétienté. L’historien Villani, qui le traite parfois assez mal, vante pourtant sa piété, sa sobriété, son économie, sa fermeté inébranlable, sa grande connaissance des affaires ; et quoiqu’il eût plus de quatre-vingts ans quand Pétrarque vint se fixer à Avignon, ce pontife avait trouvé assez d’énergie dans son âme et assez de respect dans les peuples d’Italie pour triompher du fond de son palais des intrigues et des armées de l’empereur Louis de Bavière. L’anti-pape, que la révolte de ses sujets romains lui avait donné pour rival, avait même été contraint de venir abdiquer à ses pieds une tiare usurpée. Mais il n’eut point la force de réprimer les scandales de sa cour et de sa ville. Des lieux de prostitution furent, au dire de Pétrarque, ouverts dans les environs de son palais, et jusques dans le voisinage des temples.

Ces lieux impurs furent longtemps sans danger pour notre poète, et sa conduite ne dégrada point les avantages que la nature lui avait prodigués. La beauté de ses traits, la vivacité de sa physionomie, la richesse de sa taille, la noble aisance de ses manières, la recherche même de sa parure prévenaient d’abord en sa, faveur ; et quand on avait connu les agrémens et la justesse de son esprit qu’aidait la plus heureuse mémoire, quand on avait apprécié la clarté, la précision de sa logique, la candeur de son âme, la franchise, la pureté de son caractère, il était impossible de ne pas rechercher son amitié, de ne point s’attacher à une nature d’homme qui touchait de si près à la perfection. Les triomphes de ce genre durent satisfaire sa vanité. Admis à la familiarité des grands, il s’y montra simple et modeste sans bassesse, comme un homme qui prenait sa place dans le monde. Un astrologue lui avait prédit dans son enfance qu’il acquerrait les bonnes grâces de tous les illustres de son siècle ; et ces succès, que dans un âge plus avancé sa modestie avait peine à concevoir, ne semblaient à sa jeunesse que le retour légitime de ce qu’il accordait au mérite des autres ; ajoutons qu’il sut toujours se maintenir dans rang que ses talens lui avaient assigné, et quelque besoin qu’il eût pour sa fortune de la protection des puissans, il ne perdit jamais avec eux la dignité, la noble indépendance de son caractère. On a peine à croire que l’honnête dissipation de sa vie, le désir immodéré qu’il avait de paraître et de plaire, le soin même de son existence lui aient laissé dès lors assez de loisir pour cultiver les Muses. Mais sa passion pour les vers n’en était pas plus refroidie. Ses liaisons le ramenaient même à l’étude de ses auteurs favoris. C’était encore l’amour du travail qui déterminait son amitié, et le choix de ses connaissances les plus intimes dans une ville aussi dépravée suffirait seul à son éloge.

Le vieux Jean de Florence, savant illustre, charmé des talens de