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s’étaient emparés de son intelligence. Elle se montra rebelle aux arides leçons de la jurisprudence du moyen-âge ; et, après quatre ans d’un séjour infructueux, Petracco, s’en prenant à la négligence des professeurs de Montpellier, le fit passer à l’université de Bologne, dans l’espoir que la réputation de ses maîtres pourrait aiguillonner l’amour-propre de son fils. La répugnance de Pétrarque ne céda point à cette nouvelle épreuve ; il fut à Bologne ce qu’il avait été à Montpellier, le fanatique admirateur de Cicéron, de Virgile, d’Horace ; et son dégoût invincible pour le Code et les Décrétales ne fit que s’accroître avec ses années. Un sentiment de loyauté se mêlait toutefois à cette répugnance. La cupidité, la mauvaise foi des jurisconsultes de l’époque le révoltait. Il s’appuyait, sans doute, sur ce motif pour justifier sa paresse. Mais c’était déjà vrai de son temps. « Tout en eux est vénal, disait-il dans ses lettres. Les plus habiles sont ceux qui savent le mieux détourner les lois de leur sens véritable, et c’est pour les éluder ou les violer impunément qu’ils les étudient. La candeur de mon âme ne me permettait pas de me livrer à une étude dont on abuse tous les jours aux dépens de la probité. » Ces lettres sont connues de son père. Petracco apprend enfin la cause de cette antipathie. Il court à Bologne. Il trouve les précieux manuscrits que son fils avait cachés à la nouvelle de cette invasion paternelle, et les jette dans le feu sous les yeux de leur malheureux adorateur. Pétrarque se précipite aux genoux de son père, il fond en larmes, il pousse des cris déchirans. Rendez-les moi, dit-il en cherchant à ressaisir d’une main ce que la flamine dévore ; rendez-les moi, je me suis privé de tout pour les acheter. Son désespoir était si vrai, sa douleur si expansive, que le courroux du père fléchit ; il arrache lui-même au foyer ce que la flamme a respecté encore. Tenez, lui dit-il, tenez ; Virgile vous consolera de la perte des autres, et Cicéron lui-même vous préparera peut-être un jour à l’étude des lois.

La prophétie ne pouvait s’accomplir, et Pétrarque s’efforça vaine- ment d’obéir à son père. C’était peu d’un penchant irrésistible pour en détourner ce jeune homme de dix-huit ans. Il avait, sous ses yeux, deux exemples qui le fortifiaient dans son étude favorite. Guittone Guittoncino, plus connu sous le nom de Cino de Pistoie, joignait à l’enseignement du droit l’étude de la poésie. Ses vers, oubliés depuis, jouissaient alors de quelque réputation. Il n’était pas le maître de Pétrarque, comme on l’a souvent imprimé, il est même douteux qu’il ait professé à Bologne ; mais Pétrarque devait au moins le connaître ; l’autre exemple était plus près de lui. Francesco Stabili professait l’astrologie et la philosophie dans cette université même, sous le diminutif de Cecco d’Ascoli. Ses vers ne valaient pas ceux de Cino, mais il aimait les vers d’Horace et de Virgile, et il entretenait ce goût naissant dans son jeune disciple. Ces deux professeurs étaient les amis du Dante. Cino était même en commerce de sonnets avec l’auteur de la Divine Comédie. Mais Cecco, s’étant brouillé avec ce grand poète, eut le malheur de publier une critique acerbe de cet illustre Florentin ; et il fut brûlé vif, sous prétexte de sorcellerie, mais en expia-