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printemps à Moskou, l’été en Crimée et sur les rives du Kouban, puis, à mon retour, un second printemps, encore.

J’avais réussi dans toutes mes entreprises ; j’avais échappé à quelques dangers et soutenu des fatigues peu communes, favorisé que j’étais par une santé imperturbable. J’avais recueilli une ample moisson de renseignemens, qui depuis m’ont servi de points de comparaison pour mieux juger d’autres pays. Ces résultats, que je devais à une protection spéciale de la Providence, me pénétraient de reconnaissance envers elle et envers mes parents, qui avaient fait taire leurs inquiétudes et secondé ma vocation si déterminée pour la carrière aventureuse des voyages. Je savais qu’ils se sentaient heureux d’avoir ainsi occupé l’activité de mon esprit, et dirigé l’ardeur qui me portait à la recherche d’un peu de bonne renommée.

Revenu dans la capitale de toutes les Russies, j’y devins l’objet de quelqu’attention. L’impératrice elle-même me reçut avec une distinction bien flatteuse pour ma jeune vanité. La persévérance avec laquelle j’avais suivi mon projet de voir et de connaître les parties les plus reculées de son Empire parut lui avoir été agréable ; elle me savait quelque gré de ne m’être montré effrayé ni des difficultés ni des privations de la route. La société s’empressa de partager les impressions du trône, et les prévenances redoublèrent. Nous étions à l’époque des longs et beaux jours qui signalent sur les bords de la Néva un été trop court dans sa durée. On se trouve comme excité par sa rapidité à en jouir davantage ; les parties de campagne se multipliaient mais l’incessante clarté de ces jours sans nuits m’étonnait plus qu’elle ne me plaisait. J’attendais machinalement aux heures accoutumées, sans la voir venir, cette mystérieuse obscurité qui précède le repos si désiré après une journée active.

Le grand-duc Paul Pétrowitz, entouré déjà à cette époque d’une nombreuse et belle famille, donnait souvent des fêtes à sa campagne de Kaminostroff. J’y fus invité, logé même, et particulièrement honoré dé l’attention du grand-duc. Il me prenait souvent à part, me questionnait sur toutes les circonstances de mon voyage, s’informant des moindres détails et cherchant à pénétrer mon opinion sur les points les plus délicats de l’administration des provinces. Il y mit tant de suite que, répondant avec détail, j’eus lieu de craindre de m’être laissé aller à trop de franchise. Je crus devoir lui en faire mes excuses, mais, loin de s’en offenser, il me dit avec une véritable effusion qu’il me remerciait, au contraire, m’assurant qu’il se félicitait d’avoir pu recueillir ainsi une opinion indépendante que d’autres lui auraient probablement toujours cachée. Il voulut bien ajouter que, s’il devait un jour être appelé au trône, j’aurais peut-être contribué à le mettre sur la voie du bien qu’il désirait faire à son pays.

Profondément touché de cette manifestation de vues si généreuses, je déclarai de mon côté au grand-duc que je mettais à ses ordres sans aucune réserve et avec le dévouement le plus entier toutes les informations que j’avais pu recueillir et les souvenirs que ma mémoire pourrait se retracer. Bien des occasions se présentèrent de re-