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Je suivais, en attendant, près du prince, et avec toute l’ardeur de mon âge, l’accomplissement de ses promesses. Il avait, parlé de mes projets à l’Impératrice, qui en avait accueilli l’exposé avec faveur. Nous obtînmes des lettres de recommandation pour le directeur du collège russe établi à Pékin. Tout enfin semblait répondre à notre impatience, lorsque cette vaste combinaison fût inopinément renversée par une querelle survenue entre des marchands russes et les autorités chinoises, cause d’une interruption dans les rapports entre les deux Empires. Mon voyage se trouva donc forcément réduit à des proportions qui me semblaient bien mesquines, après tout ce que j’avais rêvé.

Toutefois, en me préparant à parcourir tout au moins les provinces intérieures de la Russie, je nourrissais encore l’espoir secret de tirer parti de cette première excursion, pour y rattacher une expédition lointaine sur le succès de laquelle je comptais fonder ma réputation. Je pensais à pénétrer en Perse après avoir traversé le Caucase, pour me rendre de là aux établissements anglais dans l’Inde, et revenir en France par mer. Un tel voyage n’avait pas encore été exécuté ; il souriait à mon imagination qui ne s’arrêtait ni aux difficultés de l’entreprise, ni à l’insuffisance de l’instruction préalable dont j’aurais eu besoin pour en assurer l’utilité. Je ne calculai même pas ce qu’il aurait fallu de temps pour m’y préparer convenablement. À cette époque de ma vie, vouloir était pour moi synonyme de pouvoir.

Ce second projet fut déjoué, comme le premier, par des circonstances indépendantes de ma volonté : car lorsque j’arrivai sur la frontière de Perse, j’appris avec une vive contrariété que ce royaume était en proie à la plus cruelle anarchie ; que plusieurs membres de la famille régnante se disputaient un pays dévasté : on me fit observer que, même si je trouvais appui auprès de l’un de ces princes, ce serait un motif suffisant pour être maltraité par les autres ; et que dans la lutte de mes protecteurs entre eux, je ne pouvais manquer, tôt ou tard, de rencontrer une fin malheureuse. Je cédai, bien malgré moi, à ces sages réflexions ; et je réduisis mes projets à l’exploration intérieure pour laquelle les recommandations les plus pressantes m’avaient été données. Les ordres de l’Impératrice transmis et confirmés par le prince Potemkin, mettaient à ma disposition tous les secours civils et militaires que je pouvais réclamer dans mes nécessités de voyageur.

J’ai consigné dans un journal séparé le détail de ce voyage, commencé par Moskou, la seconde capitale de l’immense Empire, continué par Kieff, qui fut son berceau ; vers Cherson, conquête maritime récente et premier ouvrage avancé sur Constantinople ; dans la Crimée, nouvel appendice ajouté aux Etats que gouvernait Catherine, et devenue la porte de l’Orient ; puis à’Taganrog, sur la mer d’Azoff, au Caucase, à Astracan, d’où, remontant le Volga jusqu’à Kasan, je revins à Pétersbourg, ayant parcouru plus de deux mille lieues sans sortir de la Russie.

L’hiver régnait encore à l’époque de mon départ. Je trouvai le