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surprise et même de l’admiration réelle que m’inspiraient les progrès rapides de la Russie. Les regardant comme son ouvrage, il y attachait le plus grand prix, et il se montra très-disposé à traiter avec bienveillance le jeune étranger accouru de si loin pour applaudir à ses généreux efforts. Il me reçut avec une sorte de familiarité dont ceux qui l’entouraient parurent étonnés. Je l’entretins de mes plans de voyage ; de ceux même qui, jusqu’à ce moment, ne pouvaient être qu’un rêve, mais que j’avais bien le projet de réaliser. Il encouragea le désir que je lui exprimai d’étendre aussi loin que possible mon exploration de l’intérieur de la Russie, et il me promit toute son assis- tance, en m’engageant à revenir causer avec lui.

Je vis aussi M. de Landskoy, le favori du jour. C’était un très-bel homme, dont l’extérieur faisait tout le mérite. Il s’était sincèrement attaché à l’impératrice ; et sa mort, qui suivit de près son élévation, causa à Catherine un violent chagrin. Plusieurs autres favoris succédèrent à Landskoy, et le dernier fut Platon Zouboff. Celui-ci réunissait à un haut degré toutes les qualités qui pouvaient justifier une préférence ; il sut la conserver longtemps avec une sorte d’estime générale, ce qui n’était pas aisé.

Le séjour de Pétersbourg me fit encore connaître plusieurs autres personnages marquants et non moins curieux à étudier, tant en raison du rôle qu’ils avaient joué, que par l’éclat de leur haute fortune. Je citerai le maréchal Razoumoffsky, le comte Romanzoff, la princesse Daschkoff, les Orloff, Baratinski, le prince Beborodkow, qui tous avaient plus ou moins pris part à l’élévation de l’Impératrice ; illustres personnages, arrivés en peu d’années au faîte des honneurs, et présentant, au moins en apparence, toutes les formes de la plus haute civilisation. Les femmes surtout réunissaient ce qui pouvait rendre l’illusion plus complète encore, si c’en était une ; elles dominaient la société où l’exemple de la Souveraine excitait parmi elles une rivalité de succès, et les éclairait sur les moyens de plaire, qu’elles exerçaient avec une admirable intelligence. La faculté d’imitation, si naturelle à tous les Russes, transformait bientôt en ressources de séduction tout ce qui dérivait d’une source trop indigène ; et le caractère natif ne tardait pas à disparaître sous le prestige des agréments de tous les pays. La France offrait habituellement les modèles les plus recherchés ; ses modes étaient adoptées presque exclusivement, comme ses usages, ses produits, sa langue, le tout avec un rare talent de copie.

On concevra facilement qu’à mon âge, disposé comme je l’étais à profiter de tous les plaisirs, j’appréciai vivement la part qui m’était accordée dans le mouvement de ce brillant hiver. Les bals, les spectacles, les soirées ou les comédies de société se succédaient sans interruption. Je ne négligeais rien pour y réussir et y plaire ; j’aspirais toujours à être compté pour quelque chose dans le monde le plus distingué ; mais je ne m’attachais qu’à celui-là, et c’est surtout à ce goût bien prononcé pour l’un et à l’éloignement instinctif que m’inspirait l’autre, que je crois devoir le bonheur d’avoir été préservé des écarts