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de la société avec une facilité qui m’était naturelle, et j’évitais de montrer la moindre prétention, ce qui était encore une manière dé- tournée de me faire valoir. Mon séjour à Pétersbourg m’apprit aussi tonte la valeur d’un bon plan de conduite suivi avec persévérance et en dépit d’un peu de gêne, soit même de quelques légers sacrifices d’amour-propre : le succès dédommage de tout.

J’avais également réfléchi sur les moyens à employer pour mettre un certain ordre dans mes remarques et quelque méthode dans ce qui se rapportait à mon instruction ; je m’étais fait un cadre qui renfermait les points principaux sur lesquels devait se fixer ma curiosité. Je préparais chaque jour, suivant la nature et la capacité des individus que je devais rencontrer, des questions de nature à provoquer des réponses explicatives, et chaque fois je m’empressais de noter ce que j’avais pu recueillir dans la journée. Ainsi s’est composée la série des souvenirs que j’ai conservés de ce voyage comme de ceux qui l’ont suivi.

Après avoir obtenu la faveur d’être présenté à l’Impératrice, ce que j’ambitionnais le plus était de voir de près le personnage remarquable qui, sous le nom de Catherine II, gouvernait despotiquement le vaste Empire de Russie.

Le prince Potemkin, véritable type du génie sauvage dirigé par l’instinct naturel, s’efforçait de se débarrasser entièrement de ces langes de la barbarie qui l’avaient longtemps enlacé. Après avoir puissamment contribué à la révolution qui avait placé Catherine seule sur le trône, qu’elle avait partagé jusque-là avec son mari, l’infortuné Pierre III, il était devenu le favori en titre de cette princesse, et, au moment où je me trouvais à Pétersbourg, il en était encore l’ami et le confident le plus dévoué. La fermeté et la décision de son caractère, sans parler de sa haute et riche stature, l’avaient maintenu longtemps en pleine possession de la faveur, suivie de près par la fortune. Mais, doué d’un esprit supérieur et porté aux grandes choses, il avait com- pris que le déclin de cette même faveur menaçait toute sa puissance politique ; et il avait su, avec une rare habileté, prévenir le moment où un caprice de femme pouvait lui donner un successeur. Étudiant, observant avec adresse les premiers symptômes d’une fantaisie nouvelle que peut-être il contribuait à faire naître, il se réserva de choisir et de faire agréer son remplaçant : il s’était ainsi créé de nouveaux droits à la confiance absolue de l’impératrice. En même temps, pour la mieux servir encore, sa main de fer exécutait habilement les vues politiques et administratives que l’esprit fin et délié de Catherine lui indiquait dans l’intérêt de sa gloire et de la civilisation progressive de son Empire.

Cet homme, à demi sauvage encore, et si bien organisé pour le pouvoir, était accessible à la flatterie ; sans aller jusque-là, je n’épargnai rien de ce qui pouvait le disposer en ma faveur. J’étais, comme tous les étrangers, surtout comme tous les nouveaux arrivés, soumis à la surveillance d’une police vigilante. J’en profitai pour faire arriver indirectement jusqu’au prince Potemkin certaines expressions de la