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souvenirs de France, dont il l’avait entretenue, me faisaient déjà regarder par tous comme une ancienne connaissance. J’avais la confiance d’être compris, et il s’établit bientôt entre nous comme un lien commun, cimenté par cette hospitalité réciproque.

Le comte Schouwaloff avait atteint un certain âge ; les habitudes de la cour avaient suppléé chez lui à une éducation incomplète, et recouvert d’un vernis brillant les formes peut-être un peu incultes d’une nature primitive. Cet excellent homme était une sorte d’image vivante de l’état actuel de la société en Russie, où des progrès développés comme en serre chaude n’avaient pas encore poussé des racines bien profondes. Toutefois, l’instinct d’imitation inné chez les Russes avait facilement saisi l’apparence extérieure des modèles qui leur étaient présentés ; et ce peuple nouveau, avec des mœurs barbares à demi, offrait déjà à l’observateur tous les caractères d’une civilisation avancée.

Le grand-chambellan n’avait pas été marié, et partageait les avantages d’une grande fortune avec sa sœur, la princesse Galitzin, depuis longtemps veuve. Celle-ci allait peu dans le monde, parlait un français à peu près inintelligible, et avait conservé dans toute leur originalité les formes, les usages, et jusqu’aux préjugés de l’ancienne Russie ; elle était d’ailleurs la meilleure et la plus indulgente de toutes les femmes. Son fils, le prince Fodor, sa femme, la princesse Barbe, sa sœur, non mariée encore, composaient l’intérieur de cette famille, au sein de laquelle je me trouvais transporté.

Le prince Fodor Galitzin, héritier naturel du grand-chambellan, l’avait accompagné dans son voyage en France ; il avait épousé une fille du prince Repnin, dont il n’avait pas d’enfans. Cette jeune femme, aussi distinguée par les qualités du cœur et de l’esprit que par l’éducation, ne l’était pas autant sous le rapport de la figure ; mais l’expression de sa physionomie, la douceur de sa voix et une grâce naturelle qui lui était propre, formaient un ensemble beaucoup plus séduisant que celui d’une beauté régulière. Il existait une certaine rivalité entre les deux belles-sœurs, qui se partageaient l’affection du grand-chambellan ; mais le caractère doux et conciliant de la princesse Fodor la portait toujours à céder, et maintenait une harmonie constante au sein de cette heureuse intimité. Quant à la princesse Barbe, spirituelle,. gaie, aimable, elle était, en outre, douée de tout le charme que donne la jeunesse dans sa fraîcheur. C’est la même personne qui depuis a été connue en France sous le nom de comtesse Golowin. Son dévoûment à la princesse de Tarente, dame du Palais et amie de notre malheureuse reine Marie-Antoinette, a été le roman de sa vie, et elle est demeurée jusqu’à son dernier jour fidèle à ce noble sentiment de son cœur.

Accueilli avec tant de bienveillance dans cette famille, je m’attachai soigneusement à éviter toute critique et même toute observation se rapportant à des usages qui pouvaient me paraître étranges, mais que je n’avais pas le droit de condamner. Étudiant donc attentivement les préjugés comme les mystères de cette société au milieu de laquelle