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sembla réunir en ma faveur tout ce que l’hospitalité la plus bienveillante pouvait offrir à un étranger. À la vérité, cet étranger était Français ; et la sympathie qui a toujours existé entre nous et la nation polonaise, comme les habitudes toutes françaises dominant à peu près exclusivement à Varsovie, me laissaient à peine apercevoir que j’avais quitté mon pays. Mais, à travers toutes les séductions d’un tel accueil, je ne pouvais m’empêcher de faire de tristes réflexions sur la situation politique de ce malheureux royaume, et de me livrer à de sinistres pressentiments.

Cependant, les approches de l’hiver m’appelaient en Russie ; je quittai à regret la brillante capitale d’un royaume déjà morcelé, qui bientôt devait cesser d’exister dans son indépendance. Les bontés du roi m’accompagnèrent jusqu’à la frontière. Ses ordres m’avaient devancé sur toute la route, et avaient fait tout disposer pour que rien ne manquât aux facilités que je pouvais désirer pour mon voyage. J’entrai enfin sur le territoire russe, et je ressentis quelque émotion en me trouvant sur le sol de cet immense Empire, alors bien peu parcouru, et qui, depuis longtemps, était pour moi l’objet d’une ardente curiosité. Le nom de Catherine occupait presque à lui seul la renommée ; dans mon impatience à approcher de cette grande figure politique, je m’apprêtais à recueillir des impressions extraordinaires comme tout ce qui l’environnait. Ce que je vis dans les premières provinces que j’eus à traverser répondit bien peu, il faut le dire, à l’idée que je m’étais formée de cette civilisation récente que la poésie du temps attribuait à l’influence presque magique de la souveraine ; et ce fut en Courlande seulement que commençai à reconnaître quelque chose de ce caractère plus avancé dans l’existence sociale, succédant depuis peu d’années à une sorte de sauvagerie primitive. J’étais toutefois loin de m’en plaindre, car je venais chercher l’inconnu et non des imitations ; j’aimais donc à rencontrer ces formes un peu bizarres, étrangères et neuves pour moi, qui semblaient ouvrir devant mes yeux un autre monde.

Nous n’avions pas alors d’ambassadeur à Pétersbourg. M. le marquis de Vérac en était récemment parti pour la France et devait passer à un autre poste éminent. Son successeur n’était pas désigné ; et les affaires étaient conduites par M. Caillard, qui ne tenait point de maison et ne pouvait me recevoir chez lui. Je débarquai donc chez le grand chambellan, comte Schouwaloff, autrefois favori de l’impératrice Élisabeth, personnage très distingué par l’impératrice actuelle ; il avait fait récemment un assez long séjour en France, où mes parents l’avaient accueilli avec empressement. Il m’avait fait promettre, si je venais en Russie, de n’y pas descendre ailleurs que chez lui. Le comte Schouwaloff était d’un caractère doux, accompagné de formes les plus aimables, qui l’avaient fait généralement rechercher à Paris. Je trouvai sa maison préparée à me recevoir, et je me vis bientôt entouré des obligeantes prévenances d’une famille entièrement russe, ayant des habitudes exclusivement russes aussi, et où, par conséquent, tout à l’exception de son chef était nouveau pour moi ; mais ses