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Lettre de M. Fauvel, consul de France à Athènes, adressée à M. le comte de Forbin, directeur général des Musées.

Athènes, le 18 septembre 1822.

  Monsieur le comte,

Il y a bien peu de frustes antiques ou de découvertes modernes qui n'aient produit de nos jours de vives disputes entre leurs investigateurs primitifs. J'ai vu des Anglais se battre longtemps à coups de plume pour des cailloux roulés par le Simois qu'ils métamorphosaient en débris d'llion; et des Allemands se prendre aux cheveux pour des buissons de la plaine de Troie, dont la topogra- phic avait été irrégulièrement fixée. J'ai assisté un collaborateur subalterne de lord Elgin *, dans une lutte inégale d'autorité, mais supérieure de raisonne- ment, qu'il entama avec le spoliateur du Parthénon. J'ai vu naitre et lancer, contre ce même Écossais, l'Imprécation de Minerve, et les virulentes épigram- mes de lord Byron. Le poète d'Albion soutenait de son côté une grave polé- mique avec quelques-uns de ses compagnons de voyage, userpateurs de ses trouvailles; il fulminait contre les déprédations des temples de notre citadelle, ce brave Anglais! mais il recueillait sournoisement pour son compte tout ce qu'il pouvait rencontrer de tambours de colonne et de poussière de marbre. Enfin, que vous dirai-je ? je ne suis pas moi-même sans rancune à l'endroit de mon ancien chef, M. le comte de Choiseul-Gouffier, pour certains fleurons de ma couronne d'antiquaire qu'il m'a contestés jadis; et mon collègue Leche- vallier ** a soutenu, comme il peut vous le dire, contre le mème ambassadeur et pour la même cause, une bien plus longue querelle. Si donc des prétendants autres que le roi de Bavière, dont vous avez vigou- reusement repoussé les injustes attaques, se présentaient pour revendiquer la gloire d'avoir assisté l'ile de Mélos dans le douloureux enfantement de sa sta- tue, il n'y aurait là rien de bien nouveau. Et comme cette admirable Vénus, dont M. le vicomte de Marcellus m'a montré au Pirée, par un beau clair de lune, les divins attraits, ne tient pas sa pomme dans sa main, c'est sans doute qu'elle l'aura jetée, à son tour, dans l'arène archéologique pour y ranimer la discorde. Sérieusement parlant, j'opine que, en cette occasion, la vérité a été trop bien établie par M. de Marcellus, pour qu'on puisse mettre en doute les asser- tions de sa note officielle. Mes renseignements sont de point en point conformes aux siens; je n'ai rien appris moi-mème que ce qu'il a dit, et je ne puis que le féliciter de loin, comme je l'ai fait de vive voix, de ses succès en sculpture an- tique, que certes tous nos seulpteurs modernes ne dépasseront jamais. M. le marquis de Rivière a donc fait au roi un présent que ne sauraient égaler, selon moi, toutes les bribes et dépouilles orientales dont chaque am- bassadeur, Gaulois, Germain ou Picte, prend plaisir à surcharger les bagages de son rappel. Je suis, etc. FAUVEL.

  • Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople en 1809.
    • M. Lechevalier, auteur du Voyage en Troade, bibliothécaire de Sainte-Ge-

neviève en 1822.