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chercherait, la France pourvoirait elle-même au remplacement de la monarchie. Il est bien entendu que, pendant tout ce temps, l’agriculture, le commerce, l’industrie, les finances, la perception de l’impôt, l’administration, la justice, iraient toutes seules, attendant qu’on eût trouvé ce gouvernement sur lequel personne n’était d’accord, que l’Europe resterait les bras croisées, que ces horribles malheurs dont on relevait à peine, ne profiteraient pas de cet interrègne pour fondre de nouveau sur le pays… Voilà ce que l’on a appelé, de 1816 à 1830, le libéralisme et le patriotisme.

Et remarquez que ces militaires prêtaient serment à leur drapeau, que ces députés prêtaient serment au roi. Se fait-on une idée bien juste, bien exacte de ce qu’il y a eu de monstrueux dans la glorification de ces soldats qui s’engageaient, à un moment donné, à retourner leurs cocardes et à diriger leurs baïonnettes contre leurs capitaines ou leurs colonels, dans l’apothéose de ces héros parlementaires qui venaient à la Chambre, levant leur main droite en signe de fidélité et d’obéissance, cachant de leur main gauche leurs poignards de carbonari ? M. Dumas, racontant tout cela comme il raconterait une chasse au sanglier dans les bois de Villers-Cotterets, ou une représentation de Sylla à la Comédie-Française, nous rend à son insu un service très-réel. Ses récits peuvent servir de commentaire aux pamphlets de Paul-Louis et aux chansons de Béranger. Ajoutons que, par distraction sans doute, il place en regard de ces énormités, des traits de clémence royale qui complètent la leçon : je n’en citerai qu’un exemple, qui touche de près à un homme spirituel et aimable dont nous avons tous applaudi les pièces réactionnaires. Le comte Ribing de Leuven, compromis dans le tragique épisode de l’assassinat de Gustave, roi de Suède, est mis, pendant quelques années, au ban de l’Europe monarchique. Où trouve-t-il un asile ? En France.

Louis XVIII, ce tyran farouche que Béranger comparait à Louis XI et à Tibère, en attendant qu’il comparât Charles X à Thésée et à Xerxès, Louis XVIII qui ne haïssait pas les gens d’esprit, respecta le transparent incognito du comte de Ribing, et le laissa s’établir paisiblement à Paris. « Il est probable, dit naïvement M. Dumas, que le gouvernement n’inquiéta pas le comte Ribing, puisque je le retrouvai, rue Pigale, écrivant dans le Courrier français. » — M. Adolphe de Leuven, ingénieux auteur de la Foire aux idées, est le fils de ce comte Ribing : Cette fois du moins, la clémence du roi ne tomba pas sur un terrain ingrat, ni stérile.

On le voit, dans ce livre écrit à La hâte, dans cette œuvre de pacotille, il y a encore d’utiles enseignements à recueillir, Suivant qu’ont y observe le côté moral ou le côté historique. C’est un chiffre à ajouter dans le bilan de cette immense faillite intellectuelle dont nous subissons les conséquences. Voilà comment l’on finit lorsqu’on a affranchi son imagination de toute règle et de tout frein, lorsqu’on en a fait une sorte d’arbitre souveraine, ramenant tout à ses fantaisies, jugeant tout d’après ses caprices. Si l’esprit moderne, ce grand coupable si cruellement châtié, veut tirer profit de ses revers et mériter