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mède, ce qui n’est ni très modeste, ni très littéraire. Il a donné des rôles à Mlle Mars : croit-il, par hasard, qu’ils aient fait oublier Elmire et Célimène ?

Cette constante préoccupation du moi gâte même, dans ces Mémoires, ce qui pourrait être intéressant. Ainsi, M. Dumas, activement mêlé aux luttes littéraires des dernières années de la Restauration, avait le droit d’évoquer le quorum pars magna fui de Virgile, et de nous parler des principaux personnages et des divers épisodes de ces luttes, comme Montluc nous parle des champs de bataille et Saint-Simon de l’Œil-de-Bœuf. Une étude biographique et anecdotique sur les héros de la Pléiade et du Cénacle, sur Charles Nodier, Latouche, Victor Hugo, de Vigny, les Deschamps, Sainte-Beuve, les rédacteurs du Globe, le mouvement révolutionnaire de la littérature et des arts à cette époque, pouvait, sous la plume de l’auteur d’Henri III, offrir un intérêt réel. C’était de l’histoire littéraire vue à l’intérieur, du côté des coulisses, comme les mémoires d’un homme d’état ou des grands capitaines sont de l’histoire politique ou militaire, faite par ceux qui tiennent les cartes, et du côté que le public ne voit pas. M. Dumas, de temps à autre, paraît avoir compris que c’était là le seul attrait possible de son livre, le seul lien par lequel il se rattachait à une idée collective et générale. Mais comment être critique ou biographe des autres, lorsque l’on ne songe qu’à soi ? À tous moments, l’on devine que M. Dumas ne juge et même n’aperçoit les œuvres d’autrui qu’à travers les siennes. Ce sentiment de paternité complaisante et persistante donne souvent à ses appréciations un caractère particulier, qui touche de très près au comique. Ainsi, M. Dumas nous raconte une de ses conversations avec un ami fort spirituel, qui le guérit de ses illusions juvéniles au sujet des beautés de la littérature de l’Empire. Jusque-là, tout va fort bien ; tant qu’il ne s’agit que de MM. Arnault père et fils, Esménard, Baour-Lormian, ou même de Casimir Delavigne, le lecteur n’est pas tenté de contredire. Mais l’ami et le conseiller de M. Dumas, en l’engageant à étudier Eschyle, ajoute que d’Eschyle à Sophocle, de Sophocle à Euripide, d’Euripide à Sénèque, de Sénèque à Racine, et de Racine à Voltaire, le drame n’a fait que descendre, comme de l’aigle au perroquet ; d’où il résulte que Térésa, Antoni, la Tour de Nesle et le Vampire ont été d’heureuses tentatives pour faire remonter le drame, du perroquet à l’aigle.

Phèdre et Athalie des œuvres de perroquet ! Ceci nous ramène tout droit aux belles soirées du Cénacle, où les plus hardis traitaient Racine de polisson, et où les plus sages, M. Dumas entr’autres, leur fermaient la bouche en disant : « Prenez garde, Messieurs ! peut-être n’aurions-nous pas fait beaucoup mieux que Racine et que Corneille, si nous avions vécu de leur temps. »

Un peu plus loin, M. Dumas commence sa galerie biographique par le portrait de Frédéric Soulié. Il indique assez bien ce qu’il y avait d’obscur et d’embarrassé dans sa manière, « sa pensée éclairée d’un seul côté ». Par malheur, à peine arrivé à la seconde page, voici le moi qui reparaît et ne lâche plus prise. « Je fus, nous dit M. Dumas,