Page:Revue Contemporaine, serie 1, tome 1, 1852.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 123 —

taire personnel de leurs œuvres, le souvenir intime de ce qui leur avait inspiré telle ou telle de leurs pages, se rattacheraient par des affinités visibles à l’ensemble de notre histoire littéraire, et deviendraient comme l’explication marginale de Réné ou des Méditations, des Martyrs ou des Harmonies. S’ils se sont trompés, si l’événement n’a pas répondu à leur attente, c’est que l’art a des lois suprèmes contre lesquelles rien ne saurait prévaloir, et que l’artiste qui a élevé un monument admirable, ne peut que perdre à nous montrer les matériaux qui lui ont servi à le construire.

Un pas de plus, et nous voilà arrivés à M. Alexandre Dumas. Ici toute illusion est impossible : quelque idée qu’il se soit formé de l’éclat de ses succès et de la valeur de ses ouvrages, nous ne pensons pas que Henri III, les Demoiselles de Saint-Cyr, les Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo et le Vampire lui semblent devoir prendre place parmi ces œuvres qu’un siècle adopte comme types, comme résumés de ses tendances, de ses rêveries et de ses douleurs. Non : amuser presque toujours, intéresser souvent, émouvoir quelquefois, tel est le but que s’est proposé et qu’a atteint M. Dumas. Ses Mémoires ne pouvaient être que l’auto-biographie d’un homme qui a défrayé dix mille feuilletons, fait jouer cinq cents drames, qui ne saurait se montrer dans un lieu public sans que la foule s’écrie à l’instant : C’est Dumas ! et qui ne néglige rien pour se placer à l’extrémité contraire de celle qu’occupent, d’après Voltaire, les honnêtes filles et les académies de province. Ajoutez à cela les allures particulières de cet esprit prime-sautier qui n’a jamais eu une idée bien exacte des convenances et des mesures, et vous comprendrez que ses Mémoires soient, à chaque instant, la caricature de ceux qui ont précédé. Ainsi, l’auteur des Confidences, dans une des pages les plus hasardeuses de son livre, avait fait de sa mère un portrait touchant, mais auquel se mêlaient quelques traits équivoques, et qui avait d’ailleurs Le tort de livrer aux indifférents ces trésors d’affection sainte et de délicate tendresse, mystères sacrés de la famille et du foyer domestique. M. Dumas, lui, n’y met pas tant de façons, et il écrit ceci :

« Mon père, malgré sa taille de cinq pieds neuf pouces, avait une main et un pied de femme : à l’époque où il l’épousa, son mollet était juste de la grosseur de la taille de ma mère. » Qu’en dites-vous ? vous avez vu l’Apollon du Belvédère : voilà le singe.

Dans les Mémoires d’Outre-Tombe, M. de Chateaubriand, en parlant des grands hommes qu’il rencontre sur son chemin, ou qui ont vécu de son temps, Washington, par exemple, et lord Byron, a parfois la faiblesse de faire un retour sur lui-même, et de se demander ce qu’ils auraient pensé de lui s’ils avaient pressenti ses hautes destinées. M. Dumas, en nous racontant sa première entrevue avec Talma, s’interrompt tout à coup pour s’écrier : « Ô Talma, qu’aurais-tu dit si tu avais su que tu avais là, devant tes yeux, un homme destiné à écrire plus de cent drames dans chacun desquels tu aurais trouvé un rôle à ta taille, toi qui as passé ta vie à chercher un rôle !» M. Dumas efface ici d’un trait de plume Oreste, Auguste, Joad, Néron, Nico-