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la naïveté confiante des peuples primitifs à qui rien n’a appris à dissimuler leur goût pour le clinquant et les paillettes. Il est donc tout simple que ceux dont les tendances sont au fond les mêmes, mais qui y mettent plus de sérieux, de circonspection et d’artifice, aient signalé ou abandonné à la malice publique un homme qui expose en plein soleil ce qu’ils couvrent d’une ombre discrète. M. Dumas est pour eux quelque chose de pareil à ces verres grossissants, impitoyables pour les défauts du visage ; ils s’y reconnaissent, mais en caricature, et lui en veulent d’autant plus de prêter à rire qu’ils ne peuvent s’empêcher de le trouver ressemblant. Ils ressentent contre lui cette espèce de rancune qu’éprouverait une femme coquette contre un miroir qui l’enlaidirait, ou contre une amie intime qui trahirait ses secrets de cosmétique et de toilette.

Cette naïveté compromettante de M. Alexandre Dumas n’éclate nulle part mieux que dans ses Mémoires, et l’idée seule de les écrire et de les publier, peut compter parmi les étourderies les plus naïves de l’auteur d’Antony. Comment ne s’est-il pas aperçu que ses Mémoires étaient déjà faits, et qu’après avoir passé vingt ans à parler de soi, on n’avait plus le droit de nous donner un livre spécialement destiné à cet usage ? Que lui restait-il donc à dire de lui-même ? Ses préfaces, ses impressions, ses voyages, la perpétuelle vibration de sa vie privée, dans sa vie publique, ne lui laissaient évidemment qu’à glaner dans un champ déjà parcouru, fouillé, moissonné en cent façons par ses mains infatigables. Pour trouver à nous apprendre quelque chose de nouveau, il était forcé ou de se jeter dans les steppes de l’histoire contemporaine, et de découvrir la campagne d’Italie, celle d’Égypte, la Vendée, les Cent-Jours, Waterloo, le Carbonarisme, et autres événements qui n’avaient besoin ni de l’existence de M. Dumas pour s’accomplir, ni de sa plume pour se raconter, ou bien de se mettre en scène dès l’âge le plus tendre avec un luxe de détails biographiques qu’il n’est pas convenable de tant prodiguer quand on est son propre biographe. Il n’a évité aucun de ces deux écueils ; mais, hâtons-nous de le dire, ils n’avaient pas été évités davantage par les écrivains plus illustres qui ont donné, de nos jours, de tristes exemples de cette littérature personnaliste et confidentielle. Seulement, là comme ailleurs, comme dans l’ensemble de ses allures, de ses écrits et de son langage, M. Dumas a rendu plus visible et plus palpable ce qui, chez les autres, s’estompait de brumes poétiques, ou se confondait mieux avec l’histoire de leur temps. Grâce à lui, on peut saisir sur le fait, dans toute leur netteté, les défauts de ce genre qui ne tient déjà que trop de place dans notre siècle littéraire et qui menace d’en envahir plus encore, puisque des Muses plus orageuses et plus subversives annoncent aussi leurs mémoires. C’est pour cela que nous nous emparons aujourd’hui de ces pages incomplètes, comme on s’emparerait, dans un cours de médecine, d’un sujet en qui se réuniraient tous les symptômes d’une épidémie régnante.

Et d’abord, à un point de vue purement physiologique, il ne serait pas mal de s’entendre sur la véritable acception de ce mot Mémoires.