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n’est pas mon intention, répliquai-je. — Je vous en donne cent francs, continua-t-il. — Cent francs, c’était un trésor pour moi ; avec cent francs, je pouvais acheter quelque bonne gravure du maître que j’avais lorgnée en passant chez un marchand de la place du Musée. Je donnai mon tableau, et le petit vieux me mit dans la main cinq pièces d’or. J’allais courir chez le marchand de la place du Musée, lorsque le petit vieillard me retint par le bras. — Voulez-vous, me dit-il avec beaucoup de politesse, me faire sans désemparer neuf autres copies du même tableau ; si elles valent celle-ci je vous les paierai le mème prix. — Mille francs à gagner comme cela, tout de suite, qu’auriez-vous fait, mon oncle ?

— Parbleu ! la belle question, j’aurais accepté le marché, sauf à maudire après cela le moyen par lequel j’aurais gagné cet argent.

— Eh bien ! mon oncle, c’est ce que j’ai fait en tous points, si j’en excepte le dernier.

— Et sais-tu le nom de cet indigne propagateur des mauvaises doctrines ?

— Ma foi non, je n’ai pas pensé à le lui demander. Tous les jours, vers trois heures, il vient voir où en est mon travail ; quand une copie est terminée, il la paie et l’emporte sans rien dire.

— Et que fais-tu de ton argent ?

— Oh ! pour cela, mon bon oncle, vous pouvez bien le penser ; je le destine à acheter un original.

— Un original !… de qui ?

— Du maître, de Rembrandt.

— Sur ma parole, tu es fou, mon enfant. Au lieu de placer bel et bien cet argent ou du moins de l’employer convenablement à l’acquisition d’un bon tableau qui puisse te servir de modèle, un morceau de David ou de son école, tu songes à le jeter ainsi par la fenêtre.

— J’ai fait mieux que d’y songer, mon oncle, j’ai mis mon projet à exécution, j’ai acheté pour mille francs à un peintre qui avait besoin d’argent, un beau petit Rembrandt sur lequel j’ai déjà donné cinq cents francs à-compte.

— Tu as donc déjà fait cinq copies de ce tableau ?.

— J’en ai fait neuf, et voilà la dixième que vous venez de mettre en si piteux état. Permettez que je répare le mal ; j’ai promis de livrer cette dernière copie aujourd’hui, et grâce à vous je crains d’être en retard.

En parlant ainsi, Paul reprit sans façon sa palette et son pinceau, et, tournant le dos à son oncle, il attaqua vaillamment la balafre dont M. Guerville avait gratifié le beau visage du maître hollandais. Heureusement la brosse dont avait fait usage l’académicien était sèche et elle n’avait fait que brouiller un peu les teintes fraîches de l’habile copiste.

M. Guerville eut presqu’un remords d’avoir si légèrement porté la main sur l’œuvre de son neveu, lorsqu’il sut le profit que celui-ci en tirait, mais il dut se consoler bien vite quand il le vit refaire en quelques minutes ce que lui-même avait défait en une seconde.