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ville, par David. » Le nom du maître était une signature. Paul regardait cette toile depuis quelques instants sans mot dire.

— Eh bien ! qu’est-ce que tu penses de cela ? demanda l’académicien.

— C’est très-flatteur pour vous, mon oncle.

— Ce n’est pas ce que je te demande ; je veux savoir ton opinion sur ce tableau. C’est un chef-d’œuvre, n’est-ce pas ? Vois comme la ligne de ce front est pure, comme le galbe de ce nez est correct, comme cette bouche est bien modelée.

— Vous avez raison, mon oncle, il en est ainsi que vous dites ; mais il y a dans tout ceci une chose que j’admire plus que ce front, plus que cette bouche.

— Quoi donc ? interrompit l’élève de David, tout surpris que son neveu eut pu découvrir à première vue une beauté nouvelle dans cette toile qu’il regardait tous les jours depuis trente-six ans.

— C’est que pouvant choisir entre un Rembrandt et ceci, vous ayez préféré ceci.

M. Guerville, excellent homme au fond, ne souffrait pas patiemment la contradiction ; mais lorsqu’on s’attaquait à l’objet de son culte, à David, il devenait furieux. Telle fut pourtant sa stupéfaction en entendant les paroles téméraires de son neveu, qu’il n’eût pas la force de se mettre en colère. Il regarda le jeune Dubiez dans le blanc des yeux, et leva les épaules ; puis, laissant retomber le voile sur le précieux tableau, il sortit de sa galerie sans prononcer une parole, sans se retourner pour voir si son neveu le suivait.

Quand celui-ci fut seul, il crut pouvoir enfin lâcher la bride à ses réflexions, et soulager son cœur de l’ennui profond dévoré pendant cette longue exhibition.

— Quelle plate école ! s’écria-t-il ; comme tout cela respire l’apprêt et la convention !… comme tout cela est terne et froid !… on prendrait volontiers ces figures pour des manequins de neige. Si ces toiles m’appartenaient, je les jetterais au feu, ne fût-ce que pour ne pas les voir greloter plus longtemps.

Jamais les échos de cette maison n’avaient entendu de pareils blasphèmes.

Le jeune homme allait sans doute continuer d’épancher sa bile, lorsqu’il sentit une main légère se poser sur son bras : c’était celle de Pauline. La jeune fille avait le front triste et le regard humide.

— Mon cousin, dit-elle, qu’avez-vous donc fait à mon père ? il est furieux contre vous… il parle de vous renvoyer à Caen.

— À Caen !… A en juger par ce que j’ai vu jusqu’à présent, on y peint mieux qu’ici.

— Ainsi, à peine arrivé, vous songez déjà à nous quitter ! Moi qui avais espéré…..

Et la jeune fille, incapable de cacher plus longtemps son chagrin, se mit à fondre en larmes.

— Non, ma cousine, je ne veux pas m’en aller ; je suis venu à Paris pour y rester, j’y resterai.