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avait reproduit les traits des principaux dignitaires ; mais il lui restait à peindre la figure de l’enfant de chœur, à droite, sur le premier plan. À plusieurs reprises, je l’avais vu mettre la main à ce personnage, et, chaque fois, il avait effacé son travail. Enfin, un jour j’observai qu’il avait passé l’éponge sur la toile avec un mouvement de dépit plus marqué que de coutume, et qu’ensuite il avait pris son chapeau, sa canne, et était allé se promener. Je m’approchai alors du tableau et j’essayai, la brosse à la main, de me rendre compte des difficultés qui tenaient un si grand maître en échec. À force de chercher, je finis par modeler les contours d’une tête pleine de finesse et de sérénité. J’allais effacer mon travail, quand j’entendis du bruit. C’était David qui rentrait. Je n’eus que le temps de m’échapper et de rejoindre mes camarades qui travaillaient dans un autre atelier. David ne tarda pas à s’y rendre. Lequel d’entre vous a mis la main mon tableau, dit-il d’un ton sévère ? — Tout le monde, excepté moi, leva la tête, mais nul ne répondit. — Personne ne veut s’avouer coupable ? poursuivit-il en me lançant un regard expressif, eh bien ! je vais vous chasser tous. Il n’y avait pas moyen de céler plus longtemps mon crime, je me jetai aux genoux du maître et lui demandai grâce. — Ah ! c’est toi, dit-il en me relevant, je le savais bien : il n’y a que toi ici capable de faire une tête pareille. Suis-moi. Je le suivis tout interdit, ne sachant encore ce que je devais espérer ou craindre. Il me conduisit devant la toile inachevée, prit un pinceau, termina la chevelure de la tête que je venais de faire, puis il me dit : — Souviens-toi de ceci : II n’y a pas de belle figure sans cheveux, il n’y a pas de belle tête sans un corps bien proportionné. En trois coups de brosse il eut ébauché le corps entier de l’enfant de chœur. Vois maintenant, reprit-il, c’est un chef-d’œuvre, et je ne retoucherais pas à ta figure quand bien même l’Empereur me l’ordonnerait. Mais si tu t’avises de mettre encore la main à l’œuvre de ton maître, je te chasse de mon atelier. Aujourd’hui tu m’as rendu service, il est juste que je t’en récompense ; choisis parmi toutes ces toiles celle qui te convient le mieux, je te la donne. Maître, lui répliquai-je, la plus douce récompense que je puisse ambitionner je l’ai reçue, puisque vous permettez que la main de votre indigne élève laisse une empreinte sur votre chef-d’œuvre ; mais je croirais manquer à tous mes devoirs de reconnaissance si je ne m’empressais d’accepter votre présent. Il y avait là une foule de morceaux précieux des anciens maîtres, des Jouvenet, des Coypel, des Lebrun, des Lesueur, des tableaux des écoles italienne, flamande et hollandaise, des Guide, des Albane, des Rembrandt, etc. ; je ne les regardai même pas, j’allai droit à l’ébauche du pape qui avait servi à David pour la figure du souverain Pontife, et je la détachai de la muraille. David sourit et me regarda avec bienveillance ; puis, prenant du vermillon au bout d’un pinceau, il écrivit au bas du tableau ce que tu vas lire.

À cet endroit de son récit, M. Guerville tira le voile qui couvrait le tableau, et Paul put lire en effet : « Donné à son élève et rival Guer-