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— Sans doute, je suis de l’avis de Louis XIV : je ne puis pas sentir ces magots.

— Des magots ! une peinture si ferme et si vraie !

— Mon garçon, dit l’académicien en frappant sur l’épaule de son neveu, j’avais raison de craindre pour toi l’influence paternelle. Ton père, vois-tu, n’a jamais connu que la couleur, il t’a gâté ; il t’aura dit qu’il n’y a pas de lignes dans la nature, que le coloris suffit pour exprimer le contour, que sans la couleur il n’y a pas de peinture…. Il faut que tu oublies tout cela, mon enfant, ou bien tu ne feras jamais qu’un mauvais peintre.

Paul se rappelait qu’à son départ de Caen, son père, vieux peintre de portraits fort renommé dans sa province, lui avait dit précisément tout le contraire et l’avait mis en garde contre les doctrines exclusivement académiques de son beau-frère. Il ne prêta donc qu’une médiocre attention à cette exposition préliminaire de principes, et il laissa passer, sans même songer à les contredire, les propositions les plus opposées à ses propres opinions, se promettant bien, quand il aurait la brosse en main, de n’en faire qu’à sa tête.

L’académicien, heureux et surpris tout à la fois de trouver en son neveu un auditeur muet et docile, s’étendit longuement sur la suprématie de la ligne. Il lui montra, dans le plus grand détail, son atelier et sa collection toute composée de tableaux de David, de Lethière, de Gros, de Gérard, de Girodet, etc., dont son neveu n’aurait certainement pas donné 100 fr., s’il les avait eus à sa disposition.

À chaque toile dont il révélait… les beautés, l’académicien faisait entendre des paroles d’enthousiasme, des épithètes admiratives, des exclamations de bonheur. Jamais, suivant lui, la Renaissance n’avait rien produit d’aussi beau, et l’antique lui-même pouvait à peine soutenir la comparaison.

— Vois ce bras, disait-il, observe ce raccourci, admire la pureté de ce contour. Oh ! la ligne, la ligne ! mon enfant, ne t’écarte jamais de la ligne : c’est la ligne qui conduit à Rome, c’est elle aussi qui ouvre la porte de l’Institut.

Le jeune Dubiez paraissait écouter avec un profond recueillement, et, de fait, son esprit était ailleurs qu’aux discours laudatifs de son oncle. Celui-ci, cependant, interprétait en sa faveur le silence du jeune homme, et, satisfait des dispositions excellentes où il croyait voir son neveu, il augurait déjà bien de ses prochaines leçons.

— Il fera honneur à mon atelier, se disait-il, et l’illustre David aura en lui un digne continuateur de ses saines traditions.

Comme il faisait cette réflexion consolante, l’académicien et son futur élève arrivèrent devant un petit cadre recouvert d’une draperie de soie verte.

— Tu vois ceci, dit le digne homme : eh bien ! c’est le morceau le plus précieux de toute ma collection. Ce n’est pas seulement un chef-d’œuvre, c’est un souvenir, et il se rattache au jour le plus heureux de ma vie. David peignait alors son tableau du Sacre ; il avait déjà terminé la tête de l’Empereur, celle du pape, celle de l’impératrice ; il