Page:Revue Contemporaine, série 2, tome 54, 1866.djvu/520

Cette page n’a pas encore été corrigée

Aucune de ces ruptures ne fit plus vive impression que celle de Marie Montaud et de Pierre Gérand. On était si bien habitué à les voir danser ensemble que, dans les noces, aucun jeune homme n’aurait osé demander pour chevalière Marie Montaud. Quoiqu’elle fût riche et jolie, elle était peu recherchée dans les bals, tant l’assiduité de Pierre tenait à distance ceux qu’auraient pu attirer les yeux noirs et la fine taille de Marie. De temps en temps, il est vrai, quelque jaloux disait, en haussant les épaules, que le père Montaud ne donnerait jamais sa fille, ses vignes et sa maison du Pilori à un garçon sans avoir : mais ces propos n’arrivaient pas jusqu’à Pierre, qui ne songeait ni au père Montaud ni à sa fortune, et qui aimait Marie comme on aime à vingt-trois ans dans les campagnes, avec patience et naïveté, et pour le seul bonheur d’aimer.

Malheureusement, ce bonheur est de ceux qui ne durent guère. Si la mère Montaud, moitié par faiblesse, moitié par affection pour sa fille unique, laissa ignorer pendant quatre ans à son mari cette inclination, il vint un moment où ceux qui pouvaient prétendre à une alliance avec la famille Montaud critiquèrent par malice et par envie l’assiduité de Pierre à la maison du Pilori. 11 y passait toutes les veillées d’hiver ; comme il était aussi délié d’esprit qu’adroit de ses mains, il savait aussi bien amuser toute la compagnie par S€s récits, que greffer au printemps les arbres du verger, tailler les rosiers du parterre, aider à décharger un charroi de foin ou prendre dans les bois des Lies et de Farge des couvées de linots et de pinsons, qu’il élevait pour en faire présent à Marie. Quand on se fut accordé pour lui nuire, on y parvint vite, car il n’y avait pas à Uchizy d’homme plus fier que Jacques Montaud. C’était un vrai Sarrasin, à tête vive, à parole prompte. Il commença par quereller sa femme, la Reine Jardy ‘, tant et si fort qu’elle ne sut que pleurer et trembler, car c’était une personne craintive, qui depuis vingt ans n’avait pas une seule fois tenu tête à son mari, même quand elle était sûre d’avoir le bon droit de son côté. Dans cette occasion, elle sentait bien qu’elle avait eu tort de laisser suivre à sa fille les anciennes Coutumes, et elle ne chercha même pas à s’excuser. Les larmes de la Reine Jardy firent réfléchir son mari. Malgré sa promptitude, c’était un finaud que le père Jacques. 11 pensa que défendre à Marie de danser avec Pierre serait l’exciter à la désobéissance, et il recommanda à sa femme de ne pas parler à sa fille de cette discussion ; puis, à l’aide de deux parents, il s’arrangea de manière à faire savoir au jeune homme que la famille Montaud se moquait de la hardiesse d’un pauvre garçon capable de faire la cour par cupidité à une fille

À Uchizy, les femmes mariées continuent à porter leur nom de famille.