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pour la danse, il faut compter en première ligne Uchizy, une des plus riches communes qui soient de Tournus à Mâcon. S’il en faut croire les savants, c’est une colonie sarrasine, et cette tradition s’est si bien conservée dans les masses populaires, que les habitants de Farge et de Saint-Oyen raillent la pétulance des villageois d’Uchizy en les nommant dédaigneusement : « Ces Sarrasins ! » Les Sarrasins acceptent gaiement ce nom et les bénéfices de leur origine orientale. Ils sont plus affinés que leurs voisins, chez lesquels la race bourguignonne pure a conservé l’encolure puissante, la rondeur de manières, la séve robuste, mais peu cultivée, qui la caractérisent. Si le vieil esprit gaulois vit à Uchizy et voltige, sur les lèvres de ses habitants, en reparties colorées par une langue presque identique au français du XVI : siècle, c’est que cette petite tribu s’est assimilé le génie de notre nation en le mêlant à un reste de ses instincts primitifs qui rend original et caractéristique tout ce qui se die et se fait dans ce village.

Certainement, l’on danse beaucoup à Plottes, à Lugny, à Chardonnay, mais pas avec passion comme à Uchizy. On aime aussi dans tous ces villages, blottis dans la verdure comme des nids d’oiseaux, mais pas de la même manière qu’à Uchizy, où l’on aime avec emportement, avec ardeur, avec les douleurs délicates qui atteignent seulement les âmes très cultivées. Aussi nulle part on ne compâtit autant aux chagrins d’amour. Tous, dans ce village, les connaissent pour les avoir éprouvés ; tous, jusqu aux vieilles gens, soupirent lorsque l’annonce des bans de mariage vient séparer deux cœurs qu’une longue affection unissait. Comme partout, l’intérêt, les animosités de famille à famille se mettent en travers des inclinations, et ces attachements sont profonds dans ce pays, où les mœurs rapprochent sans cesse les jeunes gens. Au seuil des portes, dès leurs premières années, plus tard aux champs, à l’école, au catéchisme, enfin au bal, ils se retrouvent sans cesse, et le préféré aux, jeux enfantins se transfigure un beau jour aux yeux de la fillette rêveuse et devient son bien-aimé. Lui aussi perd sa hardiesse indifférente ; il reste troublé devant sa compagne de la veille, et voilà . l’amour venu, un amour d’autant plus fort qu’il est tissu dans la vie même de ces adolescents.

On devine l’émotion produite par une de ces décisions paternelles qui bouleversent deux existences. Au bal, les jeunes filles plaignent, consolent ou envient leur amie malheureuse. Au risque de bouderies jalouses, les jeunes gens n’ont de regards que pour les amants séparés. Les mères commentent les causes de cet événement. La danse en serait négligée, s’il était possible à la jeunesse d’Uchizy de délaisser la danse pour quoi que ce soit.