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dans sa préface, que l’actualité de ces chapitres, préparés où rédigés avant 1914, se trouve être, en fin de compte, servie parle grand bouleversement qui les a retardés. Nul moment du passé ne ressemble davantage aux années présentes, que celles d’il y a un siècle ; L’Angleterre sortit de sa longue lutte contre Napoléon épuisée par son triomphe ; le choc nerveux, financier, politique, social, de son effort désespérément soutenu, fit du retour à la paix un passage difficile, plein d’inquiétudes et de périls. L’obsession d’un recommencement de l’histoire, le sentiment douloureux ou fortifiant, mais toujours substantiel, de prévoir, selon une âpre et toute proche expérience, le visage familier des faits, ajoutent pour nous une saveur singulière au récit, dramatique déjà par sa qualité humaine. Lentement, l’Angleterre guérit, après 1815, de l’immense désillusion de la victoire. Elle guérit de cette révolte des égoïsmes contre les sacrifices obligés de la guerre, qui emporta, pour un temps, le principe même de l’impôt sur le revenu. Une ombre lourde couvre ces années, glaçant les désirs généreux, resserrant les idées et les âmes : « la peur de la Révolution »... Puis, irrésistiblement, des besoins économiques et sociaux naît « l’éveil du libéralisme »; sous l’action d’un homme d’État, Canning, rebelle à l’autorité des vieux partis, le Torysme ancien se « décompose » ; une série d’ajustements préparent la démocratie moderne ; et par la sagesse réaliste des instincts proprement « conservateurs », qui se dégagent, les réformes inévitables sont réalisées ; même cette « émancipation catholique» (1829) dont le nom seul avait longtemps soulevé les plus farouches résistances.

Récit très riche, chargé de complexités, et dont la valeur suprême est qu’il corrige, au fond des esprits les plus acharnés, le désir des simplifications trompeuses. Jamais trame d’influences, de volontés et d’événements ne fut plus serrée ; presque aucun fait ne se produit selon la loi pure de son essence ; tout est mêlé, divers, relatif ; tout résulte, médiocrement, par masses confuses dont le relief s’éclaire seulement avec le recul du temps, de la composition de forces multiples. L’Angleterre paraît emportée vers une secousse révolutionnaire : celle-ci, pourtant, ne se produit pas. Après l’invraisemblable procès de la reine Caroline — dont M. Halévy rapporte le détail funambulesque avec un sobre humour — la monarchie anglaise semble condamnée. Mais le désir secret du maintien de l’ordre utile par les cadres traditionnels reste plus fort que le besoin du mieux-être ; la foule est passive, sentimentale, superficielle, oublieuse ; elle accepte ou tolère tous les compromis. De quel amas de petitesses individuelles est faite la sagesse politique d’un peuple, voilà ce qui ressort de cette étude parfaitement impartiale. Le passage critique est franchi ; l’Angleterre a vécu, répondu suffisamment aux pressions les plus impérieuses des choses ; les idées radicales, un moment menaçantes, se sont intégrées dans la volonté commune de progrès minimum.