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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

aîné, touchée de l’honneur de ton entrée ici, je voudrais revenir ; et je vais en conférer avec les divinités des Enfers. Ne me regarde pas[1] ! ». À ces mots, elle rentra dans le palais ; et comme elle s’y attardait très longtemps, il ne put attendre davantage. Aussi, ayant pris et détaché une des dents terminales du peigne multiple et dense qui était fiché dans l’auguste nœud gauche de sa chevelure, et l’ayant allumé en une lumière unique[2], lorsqu’il entra et regarda, des vers fourmillaient, elle était en pourriture, et à sa tête était le Grand-tonnerre, en son sein le Tonnerre de feu, dans son ventre le Tonnerre-noir, au-dessous le Tonnerre-fendant, à sa main gauche le Jeune-tonnerre, à sa main droite le Tonnerre de la terre, à son pied gauche le Tonnerre-grondant, à son pied droit le Tonnerre-couchant, ensemble huit espèces de dieux du Tonnerre s’étaient formés et étaient là.

Alors, comme l’auguste Izanaghi, terrifié à cette vue, s’enfuyait en arrière, sa jeune sœur l’auguste Izanami : « Tu m’as remplie de honte ! » Et ce disant, aussitôt elle lança à sa poursuite les Hideuses-Femelles des Enfers[3]. Aussi l’auguste Izanaghi, prenant sa noire guirlande de tête, comme il la jetait, à l’instant elle se changea en raisins[4]. Tandis qu’elles les ramassaient et les mangeaient, il s’enfuyait ; et comme elles le poursuivaient encore, prenant et brisant le peigne multiple et dense du nœud droit de sa chevelure, comme il le jetait, à l’instant il se changea en pousses de bambou[5]. Tandis qu’elles les arrachaient et les mangeaient, il fuyait toujours. Ensuite, elle lança à sa poursuite les huit espèces de dieux du Tonnerre, avec mille cinq cents guerriers des Enfers. Mais, tirant le sabre de dix largeurs

  1. Cette défense est aussi le nœud du mythe d’Orphée, qui doit remonter au jour sans se retourner, tandis qu’Eurydice marche derrière lui.
  2. Une lumière unique était regardée comme néfaste.
  3. Les Erinnyes du mythe japonais.
  4. La kazoura, « guirlande de tête » du héros, se change logiquement en yébi-kazoura (Vitis Thunbergii), la vigne sauvage du Japon.
  5. Také no ko, un des mets favoris des Japonais. Métamorphose non moins naturelle : car, dans les temps primitifs, ils portaient des peignes de bambou.