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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

II. — LA PROSE


RITUELS DU SHINNTÔ


Par un étrange contraste, à côté de la poésie primitive, si prosaïque, la prose primitive nous offre des morceaux de la plus haute poésie. On les trouve dans les Norito, « Paroles prononcées » aux principales fêtes du Shinntô, la « Voie des dieux » que suivirent d’abord les Japonais, adorateurs de la nature, jusqu’au moment où la « Voie du Bouddha[1] » offrit une bifurcation à leur pensée religieuse.

Ces rituels nous ont été conservés, au nombre de 27, dans le Ennghishiki, « Règles de l’ère Ennghi » dont la rédaction, entreprise sous cette ère (901-923)[2], ne fut achevée qu’en 927 ; mais, si le recueil ne date que du xe siècle, on peut supposer que, dès le viie, l’écriture avait déjà fixé quelques-uns des documents qu’il renferme ; et en tout cas, nul doute qu’ils n’eussent été transmis, depuis de longues générations, par la fidèle tradition orale des Nakatomi, « ministres intermédiaires » qui les récitaient, de père en fils, comme représentants sacerdotaux du souverain[3].

  1. Boutsou-dô. C’est seulement pour distinguer les deux religions, après l’introduction du bouddhisme, que le mot Shinn-tô fut créé ; auparavant, la religion nationale n’avait pas de nom.
  2. Les Japonais avaient emprunté à la Chine, en 645, cet usage des ères (nenngô, « noms d’années »), périodes plus ou moins longues qu’ils faisaient partir, soit de l’avènement d’un empereur, soit de quelque autre circonstance importante. Le système existe toujours ; mais, sous le régime actuel, on a décidé que les ères de l’avenir seraient égales à la durée des règnes ; et c’est ainsi que l’ère de Méiji, commencée en 1868, n’a été changée qu’en 1912, à la mort de Méiji Tennô, dont le successeur, Yoshihito, a inauguré l’ère de Taïshô (Grande Droiture). (Pour la correspondance des dates japonaises avec les nôtres, on peut se reporter aux tableaux de G. Appert, Ancien Japon ; Tôkyô, 1888.)
  3. L’origine de cette corporation héréditaire de prêtres se perd dans la légende. Ils prétendaient descendre du dieu Koyané qui, dans le mythe de l’éclipse (voir ci-dessous, p. 47), contribua à ramener la déesse du Soleil en récitant un « céleste norito ». On nous dit même que, si elle consentit à reparaître, ce fut séduite par l’harmonieuse beauté de ce rituel (Nihonnghi, I, 46).