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PÉRIODE DE KAMAKOURA

des faisceaux d’épis[1]. Quand le temps est beau, nous faisons l’ascension du pic de la montagne et je regarde au loin le ciel de mon pays natal ; nous voyons le mont Kobata, le village de Foushimi, Toba, Hatsoukashi. Les beaux paysages n’ont point de maître : rien ne peut m’empêcher d’en réjouir mes yeux. Sans la fatigue d’une marche à pied, quand ma pensée va plus loin, je suis la ligne des montagnes, je traverse Soumiyama, je franchis Kaçatori, et je fais mes dévotions au temple d’Iwama[2] ou j’adore à Ishiyama[3] ; ou bien, je pousse mon chemin à travers la plaine d’Awazou et j’honore les traces de Sémimarou[4] ; je passe la rivière de Tagami et je cherche la tombe de Saroumarou Dayou[5]. Au retour, suivant la saison, nous coupons des branches de cerisier ou nous emportons de rouges rameaux d’érable ; nous cueillons des frondes de fougères ou nous ramassons les fruits des arbres. J’offre au Bouddha sa part et nous conservons le reste.

Par les nuits tranquilles, quand je regarde la lune qui brille à ma fenêtre, je pense aux hommes de jadis[6] ; et quand j’entends les cris des singes, je mouille mes manches de larmes[7]. Les lucioles dans les buissons me représentent les feux de l’île de Maki, au loin[8] ; la pluie, à l’aube, résonne pour moi comme le bruit du vent qui agite les feuilles. Quand j’écoute le faisan doré qui pousse son cri, horo-horo, je me demande si c’est mon père ou ma mère[9] ; et quand les cerfs de la montagne viennent

  1. On les suspendait, comme offrandes aux dieux, devant la porte des maisons.
  2. Consacré à Kwannonn, la déesse de la Pitié.
  3. Temple fameux : comp. p. 178.
  4. Voir plus haut, p. 192.
  5. Voir p. 107, n. 1.
  6. Comp. ci-dessus, p. 151, n. 6, et p. 216, n. 5.
  7. Le singe est trop humain pour ne pas éveiller la sympathie ; au VIIIe siècle déjà, ses cris dans la solitude nocturne viennent attrister les rêves des poètes.
  8. Les feux des bateaux de pèche de Makijima.
  9. Allusion à une poésie du saint bonze Ghyôki (début du VIIIe siècle):

    Du faisan doré
    Quand j’entends la voix
    Qui crie « horo-horo »,