Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
PÉRIODE DE KAMAKOURA

Pour décrire maintenant ses alentours, au sud est un tuyau de bambou pour conduire l’eau, avec un réservoir fait de pierres entassées. Une forêt toute proche me donne le bois à brûler. Cet endroit s’appelle Toyama. Les évonymes rampants[1] y cachent les traces de l’homme. La vallée est très boisée ; mais elle s’ouvre vers l’Ouest, ce qui favorise mes méditations[2].

Au printemps, je vois les vagues de glycines qui exhalent leur parfum vers l’Ouest, pareilles à des nuages violacés. En été, j’entends le coucou, dont les cris m’invitent à prendre le chemin de la montagne Shidé[3]. En automne, le chant de la cigale du soir[4] m’emplit les oreilles, comme une lamentation sur cette vie aussi vide que la peau dont elle s’est dépouillée[5]. En hiver, j’aime la neige qui s’accumule, puis disparaît, comme les péchés des hommes.

Quand je ne suis pas disposé à faire la prière ou à lire les saintes écritures, je me repose à ma fantaisie ; personne pour m’en empêcher, et point d’ami devant qui je puisse éprouver de la honte. Sans avoir fait vœu de silence, je me tais, étant seul. Sans règle définie, les cir-

  1. Voir p. 151, n. 4.
  2. Voici une poésie, de Tchômei lui-même, où s’expriment très bien, tout à la fois, son respect pour l’Ouest, pays natal du Bouddha où se trouve le Paradis, et son amour pour la nature :

    Certes, Je pense
    A ne pas tourner le dos à l’Ouest
    Le matin ou au crépuscule :
    Mais quand j’attends la lune.
    Non, ce n’est pas vers l’Ouest que je puis regarder !

  3. Montagne de l’autre monde que les morts doivent franchir, et où une vieille femme reçoit leurs vêtements désormais inutiles, — Le coucou japonais (ci-dessus, p. 131, n. 3) est souvent appelé taoça, « chef des rizières » (chef de village), parce qu’il apparaît au moment où le paysan doit repiquer le riz ; mais on lui donne aussi le surnom de Shidé no taoça, « le chef de Shidé », dans le sens triste qu’évoque Tchômei ; et ainsi, cet oiseau est regardé tout ensemble comme un ami qui donne le signal des travaux agricoles et comme l’annonciateur de la mort.
  4. Higourashi, une cigale verte qui chante surtout au coucher du soleil (higouré).
  5. Voir ci-dessus, p. 144, n. 4.