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PÉRIODE DE KAMAKOURA

s’élevaient comme de la fumée. Le grondement de la terre tremblante et le fracas des bâtiments croulants étaient comme le tonnerre. Si l’on restait dans sa maison, on avait peur qu’elle ne s’abattit ; si l’on s’en échappait, la terre s’ouvrait sous les pas : et point d’ailes pour s’enfuir au ciel, nul moyen de monter, comme le dragon, parmi les nuages ! Certes, entre toutes les choses terribles, le tremblement de terre vient en premier lieu.

Le fils unique d’un samouraï, un enfant de six ou sept ans, s’amusait à construire une petite, maison contre un mur, quand ce mur s’écroula soudain sur lui et l’aplatit complètement ; si bien que ses deux yeux sortirent d’un pouce hors de son visage. Le père et la mère, en l’embrassant, gémissaient et poussaient des cris de douleur ; que j’étais ému de pitié ! Le plus brave, frappé de désespoir devant le malheur de son enfant, oublie toute honte[1] ; et c’est bien naturel.

Les grandes secousses ne durèrent pas longtemps ; mais les petites se succédèrent sans relâche : chaque jour, vingt ou trente de celles qu’on trouve fortes ordinairement. Après dix ou vingt jours, elles devinrent moins fréquentes : quatre ou cinq fois par jour, puis deux ou trois fois par jour, puis une tous les deux jours, puis tous les trois ou quatre jours ; mais le tremblement de terre ne disparut tout à fait qu’après trois mois environ. Et pourtant, des quatre éléments[2], l’eau, le feu et le vent nous causent toujours quelque dommage ; pas la terre. Autrefois, pendant l’ère de Saïkô[3], il y eut un grand tremblement de terre : il fut terrible, et l’auguste tête du Bouddha du Tôdaïji[4] tomba ; pourtant, ce fut bien moins fort que cette fois-ci.

Alors tous les hommes semblèrent convaincus de l’incertitude de la vie. Je croyais qu’ils deviendraient plus pieux. Mais les jours et les mois passèrent ; et maintenant, après quelques années, on n’en parle plus.

  1. Voir p. 96, n. 1.
  2. Shidaï, dans le bouddhisme : la terre, l’eau, le feu et l’air.
  3. 854-856.
  4. Le temple de Nara où se trouve la colossale statue de bronze, haute de seize mètres, qui fut fondue en l’an 749, et qui représente Roshana (Vâirôtchana, le Bouddha dans l’état de Nirvâna, identifié au Soleil et adoré comme dieu illuminateur).